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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

par intervalles un regard distrait sur la terre qui se rapproche. Ils sont plutôt gais : c’est ta fin d’un voyage de 21 jours qui devient monotone, surtout dans la dernière partie, sans escales. Ils ne semblent pas émus : ces coloniaux reviennent en France pour six mois, comme on retourne, pendant les vacances, à la mer ou à la montagne, dans quelque villégiature familière et préférée.

Claude sent qu’il serait comme ses compagnons, s’il n’avait pas l’incertitude de son amour anxieux. Un seul passager, non loin de lui, ne partage pas l’indifférence générale ; il est violemment ému et le laisse voir ; c’est un officier qui, six mois plus tôt, a dû renvoyer en France sa femme malade ; il a reçu de mauvaises nouvelles à Port-Saïd, et il se demande s’il ne trouvera pas tout à l’heure un message de mort. Mais ce n’est pas à la Terre non plus que va l’émotion de celui-là.

Cette fois on arrive : le « Natal » file moins vite, entre la côte proche et les îles blanches. Saldagne reconnaît les paysages qui jadis symbolisaient à ses yeux les pays de lumière et de soleil : la Corniche, frileuse sous une brume légère, l’entrée du Vieux-Port, entre les deux collines vertes, et la montagne pelée qui sert de piédestal à Notre-Dame de la Garde. Il trouve ces lieux quelconques, sans joie, dans la lumière un peu blafarde. Il lui semble du reste qu’il les a quittés hier, et il n’y prend point d’intérêt. Il n’éprouve plus qu’une grande hâte d’arriver pour savoir, enfin. Et l’hélice du « Natal »