Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

millant et peinant dans les rizières. Le fleuve charriait des milliers de cadavres d’insectes. Claude rêvait à la fatalité de leur court destin entre le lever du soleil et les rayons meurtriers de midi. Là-bas aussi, sur les collines, dans les tombeaux en pierres sèches, reposaient d’innombrables morts, entassés les uns sur les autres depuis l’origine des générations. Il s’apitoya sur la misère humaine, identique sous toutes les latitudes, sur le malheur d’être né, sur la vanité du labeur dans les champs de la Beauce ou dans les rizières de Bétsimitâtre. Emporté sur les eaux troubles, dans la molle langueur du matin tropical, il songea encore au cimetière d’Anzanahâr, où la terre sèche et dure momifie les cadavres, presque immortels.

Il tourna la tête, regarda en arrière vers Tananarive ; à l’horizon, comme à la source du fleuve, la ville lointaine surgissait dans la brume lilas, avec sa silhouette de décor et ses monuments tourellés. Alors il oublia la mélancolie des plaines où les bourjanes, pataugeant dans l’eau malsaine, coupent les tiges de riz, et retournent, à grands coups de bêche, les glèbes lourdes. Il fut repris par la joie de la Ville-Rouge, fleurie de daturas, où s’agitent silencieusement d’harmonieuses foules blanches, de la Ville de volupté, où les jeunes femmes imériniennes bercent les rêves, lassés ou fiévreux, des étrangers venus d’Europe. La chair de Razane, une fois encore, fut victorieuse, et le vazaha cessa de penser…

On arrivait à Faranstsahane. La pirogue