Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/164

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choses que des idées inadéquates, et qui, même s’ils étaient affranchis des passions qu’ils doivent à de fausses croyances, s’abandonneraient à des passions d’une pire espèce. Cette servitude est l’état de l’immense majorité des hommes. La liberté, qui est aussi la béatitude, est donnée par l’éternelle nécessité divine à quelques-uns. Elle n’est pas impossible, mais très difficile et très rare (Éthique, partie V, prop. 42 et sch. prop. 41).

L’idée que Malebranche prit de la liberté d’après les principes de Descartes et sous l’influence de la théologie, paraît profondément différente de celle de Spinoza. Toutefois elle offrirait avec elle une singulière analogie métaphysique, si l’on pouvait y faire abstraction de la foi chrétienne. Car Malebranche suppose l’existence d’une inclination générale et constante de l’âme vers le vrai bien : c’est un don de Dieu, qui serait, mutatis mutandis, assimilable à la nécessité éternelle de Spinoza. L’enseignement chrétien, en dehors de la philosophie, parlait du petit nombre des élus. Ce sont ici les appelés à la liberté humaine. Les autres sont les esclaves du péché : ils se rangent à ce côté du doute et de l’erreur qui comprend la vaste étendue du champ de la volonté, comparé à celui de l’entendement, dans la théorie de Descartes. Mais l’homme peut suspendre son jugement et ne se décider, quand il subit l’attrait de biens divers, qu’autant que la pleine vérité lui apparaît. Il n’obéit alors qu’à l’impulsion divine. On n’use jamais trop selon Malebranche, de cette suspension du jugement, qui est le véritable exercice du libre arbitre.

Cette belle théorie est visiblement contradictoire à la déclaration formelle de son auteur : « Dieu est la cause de tous les effets » (XLIX) ; car si Dieu fait tous les