Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/174

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Stuart Mill, pour échapper à l’obsession de la théorie des circonstances, qui lui semblait oppressive pour le caractère individuel, imagina de distinguer, comme autrefois les stoïciens, entre deux espèces de la nécessité. Il répudia l’une qu’il appela fatalité, destin brutal (fatum mahumetanum, avait dit Leibniz, dans une intention analogue) ; il accepta l’autre, qui est bien la même en tant que prédéterminisme (XLII), point essentiel qu’il se dissimula. Celle-ci consiste en ce que nos actions et nos caractères sont, à la vérité, les effets invariables des antécédents et des circonstances en ce qui nous touche, mais ne laissent pas d’être les nôtres et notre œuvre propre, en tant que nous les voulons, — si nos antécédents et nos circonstances veulent que nous les voulions ! — Ainsi que Hume, Mill se persuada que tous les hommes avaient au fond cette opinion de leur liberté, et rien de plus.

En regard de l’associationnisme, la thèse traditionnelle de la liberté avait ses défenseurs, mais qui s’en tenaient à des formules usées, souvent affaiblies, incorrectes, mêlées de contradictions. Le déterminisme régnait, d’autre part, dans l’école de Kant ; Hegel était le plus illustre représentant de la doctrine qui identifie la vraie liberté avec la réelle nécessité. La doctrine du progrès nécessaire de l’humanité, l’histoire considérée comme l’analyse des causes qui font du présent la seule issue possible du passé, la morale tenue pour un produit du milieu, ont établi dans le public lettré la foi au déterminisme. En philosophie, le positivisme et l’esprit scientifique dévoyé ont banni les aprioris de la métaphysique, mais ç’a été pour introduire dans la science, incorrectement agrandie, des hypothèses qui sont des aprioris déguisés. Le déterminisme a utile-