Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/187

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demeure douteux dans l’hypothèse de la nécessité, qu’ainsi toute affirmation d’une vérité philosophique première dépend du parti pris ou à prendre dans le dilemme du déterminisme universel et du libre arbitre, il comprend et peut accepter dans toute sa rigueur la conclusion de la recherche d’une première vérité de J. Lequier : La liberté est la condition de la connaissance[1].

  1. La rectitude logique de l’argumentation de Lequier (et de ses disciples en ce point) a été récemment contestée (voy. l’Année philosophique, 10e année p. 100-120. Paris, Alcan, éd., article de M. Fr. Pillon) par suite d’une méprise sur les conditions dans lesquelles se pose et se justifie la thèse : que l’hypothèse de la nécessité rend impossible le discernement du vrai et du faux dans les jugements humains. Il semblerait, à la mal entendre, que le scepticisme dût être une conséquence de la foi au déterminisme, ce qui est absurde. Rappelons d’abord que la loi de la nécessité doit être ici définie comme un prédéterminisme universel et absolu, quel qu’en soit le fondement d’existence, ainsi que le sens en est expliqué ci-dessus (XLIII) et que, par conséquent, il n’y a pas lieu de distinguer différentes classes de déterminations d’idées et de jugement, non plus que d’autres déterminations. Il suffit que rien de ce qui est, a été ou sera ne permette la distinction du possible d’avec le futur certain et le nécessaire. Observons ensuite, c’est ici le point capital, que, pour un déterministe dogmatique, c’est le dogme de la nécessité qui est le point de départ établi ; la thèse de l’impossibilité de discerner le vrai et le faux ne dérange pas sa théorie. Il reconnaît que la nature engendre selon les individus la vérité ou l’erreur, et ne laisse pas de soutenir que la vérité est évidente. Au contraire, pour le philosophe qui se place su point de vue de Lequier, c’est un scepticisme méthodique qui est le point de départ ; il n’admet de démonstration ni pour la liberté, ni pour la nécessité, et c’est en raisonnant d’après cette incertitude de théorie qu’il cherche à arrêter son sentiment de raison pratique sur la question.

    Le déterministe dogmatique se croit privilégié pour le discernement, de la » vérité adéquate ». C’était le cas de Spinoza. S’il avait vécu pour répondre à Bayle, qui lui demandait de quel droit il rejetait certaines doctrines pour en proposer d’autres, il aurait maintenu la certitude de la sienne, tout en regardant les autres comme des modes de la divinité, et également nécessaires à la perfection de l’univers ?

    Il aurait fallu que Bayle commençât par réfuter la suite des propositions de l’Éthique, ce qu’il n’a point songé à faire — et naturellement Spinoza n’aurait point été convaincu par les raisons de Bayle ; — mais objecter des conséquences, ce n’est point réfuter des principes. Spinoza admettant comme ingrédients du monde la vérité et l’erreur, les pensées adéquates et les inadéquates, le bien et le mal, n’était pas dans une autre condition de doctrine à cet égard que les théologiens, optimistes aussi à leur manière, qui enseignaient que Dieu avait éternellement conçu et