Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/205

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du Chaos, que naissent la Lumière de l’Empyrée et la Lumière du jour ; et, du mariage de la Terre et du Ciel, les Titans et les Dieux Olympiens, premières personnes réelles et ancêtres des hommes. L’origine du mal est rattachée à la Nuit, mère sans accouplement de toutes les sujétions fatales de la vie et de toutes les douleurs. Le point de départ pris dans la matière, l’évolution ascendante des phénomènes, l’emploi de la personnification, d’abord toute symbolique, ensuite confondant le symbole avec l’idée de divinité sous les noms d’Ouranos et de Gaïa, par où commencent les générations d’ordre naturel, c’est-à-dire, par un passage inexpliqué du mythe à la vie, les personnes : telle est en résumé la théorie de laquelle se sont éloignés au fond, beaucoup moins qu’on ne croit les philosophes qui ont remplacé par des termes abstraits les vues concrètes et naïves du mythographe dans cette philosophie de la chose.

Le vice de leur méthode n’ôte rien cependant au génie des philosophes, car le progrès de la pensée exigeait que la conception évolutionniste du monde fût élevée à la hauteur d’une doctrine rationnelle, et cela en mettant à l’essai toutes les manières, qui ne sont peut-être pas encore épuisées, d’imaginer la génération du supérieur par l’inférieur. Anaximandre, dès le vie siècle avant notre ère, formula donc la doctrine du développement spontané d’une matière unique, indéterminée en soi, possédant le principe immanent de ses productions : c’est l’Infini, doué de la propriété de s’ordonner lui-même et de mettre ses éléments en œuvre, en des évolutions de mondes qui se forment et se détruisent (XXII). Plus tard, Héraclite imagina de placer la substance unique, assimilée à un feu artiste, ou constructeur, sous l’action de deux principes conti-