Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/55

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rendent inaccessible à la pensée. En admettant l’Inconditionné il l’a posé inconcevable, et non pas seulement inconnaissable.

Après Hamilton, une intéressante polémique, soulevée, en Angleterre, sur le principe de l’inconcevable, entre deux philosophes également attachés, en principe, à la méthode empirique, a découvert un autre point de vue sous lequel l’ensemble des phénomènes peut être réduit à l’inconcevabilité en théorie. Stuart Mill n’admettait pas que nos jugements sur ce qui est ou n’est pas concevable pussent avoir une autre source que nos expériences passées, et, comme cette expérience, qui fonde par l’habitude nos façons de penser touchant le possible et l’impossible, peut un certain jour se démentir, — car comment être assuré du contraire ? — le philosophe ne doit rien regarder a priori comme inconcevable ; il doit se tenir prêt à défaire ses jugements quels qu’ils soient. Cette théorie équivaut manifestement à une déclaration d’inconcevabilité générale, puisque ni l’esprit, d’après sa nature tout empirique et subordonnée, selon l’hypothèse, ni l’expérience, à cause du manque de garanties sur sa stabilité, ne peuvent définir la différence entre le concevable et l’inconcevable. Les deux contraires ne succombent pas ensemble. C’est le dernier qui triomphe ! Il n’y a que le fait qui vaille tant qu’il subsiste.

H. Spencer, en cette polémique, admettait à la fois des concevables et des inconcevables bien déterminés, parce que, d’après lui, le jugement en serait porté par une expérience tout autrement étendue que celle de l’individu, ou même de la société humaine, dans le cours de l’histoire ; à savoir, l’expérience qui, par l’action de l’externe sur l’interne, a constitué l’esprit,