Page:Renouvier - Uchronie, deuxième édition, 1901.djvu/14

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prendre possession comme d’une partie de sa conscience, mais en éclairant les fantômes dont son imagination, informée par des mensonges de nourrice, a pu être obsédée. On avait écrit l’histoire avant le dix-huitième siècle, mais les grands esprits du siècle précédent la dédaignaient d’ordinaire, car ils la croyaient tenue de conserver par le mensonge les liens qui attachent le peuple aux puissances spirituelles et temporelles. Ils ne songeaient pas qu’avec les fières spéculations, leur unique ressource, ils se réduisaient au rôle d’esclaves déguisés en maîtres, au sein des toutes-puissantes habitudes, prêtes à régner le lendemain comme la veille des saturnales de la pensée pure ; et que, s’ils s’affranchissaient vraiment par la force du génie, mais seuls, et encore n’était-ce point sans s’exposer aux persécutions et aux supplices, la triste humanité continuait sa route loin d’eux, les maudissait même, aveuglée qu’elle était, et serrée dans les liens de sa fausse histoire et de ses traditions puériles. Aussi prenaient-ils souvent le parti de mépriser le vulgaire (odi profanum…), tandis qu’il aurait fallu le convoquer d’abord au mystère de la connaissance des faits humains, au réel spectacle des événements du monde, et faire ainsi qu’il n’y eût plus de mystères, plus de profanes à écarter. La grande, l’irrécusable révélatrice est l’histoire. L’histoire, écrite au seizième et au dix-septième siècle par des chroniqueurs