Page:Renouvier - Uchronie, deuxième édition, 1901.djvu/13

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l’eussent rendue inopportune. Ce siècle, qu’on a nommé siècle de la philosophie, fut bien plutôt celui de la vulgarisation des procédés rationnels, et de l’application pratique de la raison à toutes choses. La spéculation proprement dite y est faible, et cela doit être, parce que plus forte, plus élevée, plus désintéressée, elle eût éloigné trop souvent le penseur de ses préoccupations actuelles, humaines, pratiques, politiques. Ce siècle est en quelque sorte le premier de l’humanité depuis dix-huit cents ans ; je veux dire qu’on y voit l’humanité s’y prendre elle-même pour objet, raisonner sur soi, travailler sur soi, compter sur soi, viser à s’organiser et à se conduire par soi et pour soi. Ce siècle est donc aussi le siècle de l’histoire, caractère qui nous frapperait en lui plus qu’il ne fait, si nous-mêmes nous n’étions pas historiens et antiquaires en tout, à tout propos, et si j’ose dire à tout prix. En effet, l’une des grandes conditions de la possession de l’humanité par elle-même est la connaissance exacte de son passé, dégagé des nuages de la fable, affranchi du prestige des fausses origines divines, des commandements célestes apocryphes, et de ces traditions de droit surhumain, parfois inhumain, qui serrent, arrêtent, enchaînent, étouffent les âmes, fondent la servitude. C’est ainsi que l’enfant devenant homme, doit, pour se connaître, connaître aussi son enfance, et en re-