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Page:Renouvier - Uchronie, deuxième édition, 1901.djvu/31

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l’impartialité, me montra chez les grandes nations de l’Orient des mystères profonds, quelquefois barbares, quelquefois touchants, presque toujours du genre de ceux que nous adorons, seulement appuyés sur d’autres légendes et sur d’autres miracles. Voulons-nous les entendre grossièrement, n’y voir que sottise, puérilité, mensonges ? appliquons alors ce mode d’interprétation facile à nos propres traditions ; pourquoi pas ? les peuples étrangers et lointains ne s’en font point faute, car ils nous jugent aussi. Voulons-nous au contraire pénétrer jusqu’à l’essence de nos dogmes abstrus, ne les croire absurdes qu’en apparence ? Alors traitons avec la même justice tous ces systèmes de trinités, d’incarnations et d’eucharisties, dont la spéculation orientale a été prodigue. J’ignore quels livres, quels voyageurs avaient instruit mon père sur les opinions de tant de nations dont nous n’avons pas les livres sacrés ; mais j’ai lieu de croire qu’il puisait principalement dans les récits oraux de quelques missionnaires jésuites, parce que la place où il avait été autrefois lui avait permis de recueillir de la bouche de certains, des renseignements, des conjectures, des doutes, qu’on se garde de publier. Son intelligence fort exercée et en éveil avait aussi mis à profit les relations confuses apportées par les marchands hollandais. Quoi qu’il en soit, je conçus pour la première fois que les peuples avaient pu se faire des religions comme la nôtre et nous une religion comme les leurs. Mon père acheva cette fois la veillée par une estimation approchante des nombres d’hommes attachés aux diverses croyances qui existent sur la terre[1].

« Considère les dogmes du christianisme, avant le moment où l’Église a tout enfermé sous son autorité. Informe-toi de leurs origines. Envisage-les en soi, non point dans l’unité factice et dans l’invariabilité prétendue qui est le postulatum des théologiens, mais dans la suite des événements de l’histoire, des débats de la philosophie, des luttes de la politique et des intrigues du clergé ; car l’histoire des variations, pour parler comme cet

  1. Nous retranchons ici un passage assez long pour lequel nous pouvons aujourd’hui renvoyer les lecteurs à la seconde partie de la Profession de foi du vicaire savoyard, J.-J. Rousseau. (Note de l’éditeur.)