Page:Renouvier - Uchronie, deuxième édition, 1901.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

évêque, n’a pas commencé de notre temps ; elle s’est reprise et continuée après quelques siècles d’une fixité apparente qui était le produit de la violence. » Ici vint se placer un abrégé des annales ecclésiastiques, des hérésies, des conciles, et de ces révolutions de l’Église qu’on a ramenées à la soi-disant orthodoxie par une méthode aisée, en qualifiant d’orthodoxe chaque opinion qui triomphait à l’issue de chaque lutte.

« Regarde enfin la morale de l’Église, je veux dire celle qui paraît dans sa conduite et dans la conduite des princes qui l’ont servie ou qui se sont servis d’elle, depuis Constantin jusqu’à Philippe II ; connais les maximes qu’on te recommandera et les actes qui te seront proposés pour modèles. » Je ne pus m’empêcher de frémir, de demander grâce à l’interminable tableau des persécutions, des supplices à cause de la foi, et des crimes d’État des rois et des pontifes, durant plus de mille ans de la loi d’amour, desquels mon père semblait avoir composé les éphémérides lugubres : il était vraiment la vivante chronique des égarements de la religion. Arrivé à notre temps, il me montrait le système de l’intolérance théologique, également puissant sur les esprits des princes et sur ceux des particuliers, les gouvernant jusque dans le moment où ils se pensaient devenus libres, quelle contradiction ! et donnant le signal de plusieurs guerres horribles, commandant des assassinats et des massacres. Tant les exemples fournis par une politique cruelle et par la soi-disant orthodoxie conservent de force dans l’affranchissement même et sur les cœurs de ceux qu’on appelle hérétiques et qui veulent avoir leurs hérétiques aussi !

Après ce préambule, dont je ne saurais, mes enfants, vous transmettre que le squelette, mais auquel je joindrai quelques notes sur les points historiques qui y sont touchés[1], mon père

  1. Ces notes ne seraient pas aujourd’hui même entièrement superflues : elles consistent principalement en tableaux chronologiques des dogmes et des crimes qui se rattachent à leur établissement ou à leur destruction. Il y a aussi une statistique des victimes. Mais nous avons craint la répétition et le double emploi, parce que l’auteur reproduit les mêmes traits, et d’une manière bien plus vive, dans la partie de son écrit qu’on trouvera à la fin du volume. (Note de l’éditeur.)