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LA PETITE LAITIÈRE

installer Suzon. Au lieu de faire venir de Neuilli dîner, suivant son usage, il lui apporta sa portion dans sa chambre. Le jeune homme, qui était encore à son trou, n’eut que le temps d’accourir, et de feindre qu’il venait d’étudier. Son oncle lui dit de dîner, et se retira. De Neuilli porta ses plats à côté de la porte, et il mangea en travaillant. Il se fit jour enfin, et il vit dans le cabinet. Il s’aperçut que le couvert y était mis, et qu’il n’y avait encore personne. Il agrandit son trou le plus qu’il lui fut possible, afin de mieux voir, et s’étant aperçu que son bonheur voulait qu’il eût percé sous un petit médaillon de bronze, large comme un écu de six livres, il s’en réjouit machinalement ; il prit une allumette, pour le soulever, lorsqu’il voudrait voir. Enfin il entendit entrer, et il vit que c’était son oncle avec Suzette.

— Ah ! çà, ma fille (dit le cafard), nous voilà seuls enfin, et votre mère est partie ! Nous allons dîner ensemble, ce qui sera tous les jours, à moins que je n’aie du monde ; nous causerons, et je vous détaillerai, mon aimable fille, les vues que j’ai à votre sujet. Vous êtes charmante : mais je ne regarde pas vos attraits d’une manière profane ; je me contente de les admirer comme l’ouvrage le plus parfait de la nature et de la divinité. Je suis riche : je ne tiens à personne dans le monde, quoique j’aie un neveu ; mais les liens de l’amitié sont plus forts que les liens du sang. D’ailleurs, mon neveu est un imbécile, qui ne l’aurait cependant pas été, si je ne l’avais pas retenu dans l’ignorance ; il ne sait pas même qu’il y a des femmes au monde ; il ignore tout ; il n’a jamais parlé qu’à moi. J’attends qu’il ait vingt-cinq ans, pour en faire un capucin. J’aurai par ce moyen sa fortune et la mienne, dont je disposerai pour la rendre bien riche, bien riche, une jolie fille qui voudra s’attacher à moi solidement. Je ne lui assurerai pas moins de vingt-cinq mille livres de rentes, si elle sait le mériter par son affection pour moi, et son dévouement à toutes mes volontés. Je vous le répète, ma fille, je ne ressemble pas