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LA PETITE LAITIÈRE

ment on vous nomme. — Je suis une fille. — Ah ! le joli être qu’une fille ! une fille ! le joli mot ! une fille… j’en ai aperçu de bien moins jolies que vous dans la rue, et qui ne m’ont surpris que par la singularité de leur habillement désagréable. — C’était apparemment de vieilles femmes. — Et qu’est ce qu’une autre espèce que j’ai vue, qui avait une longue barbe, un habit brun, les jambes nues, et toute vêtue de la même étoffe ? Était-ce une vieille femme aussi ? Suzette éclata de rire : — Eh non ; c’était un homme, c’était un capucin. — Ah Dieu ! et voilà donc ce que mon oncle veut me faire un jour. Il m’a dit plusieurs fois, que lorsqu’il en serait temps, je sortirais de ma prison, pour avoir le bonheur d’être… ce que vous dites… Mais, il vous a parlé de moi, mon oncle ? — Oui, monsieur, répondit Suzette en rougissant. Il vous a dit qu’il me donnerait à vous ? — Oui, monsieur. — En serez-vous bien aise ? et que ferez-vous de moi ? — J’en ferai… mon maître : je vous regarderai comme mon bienfaiteur, et je vous chérirai comme mon mari. — J’entends bien ce que c’est que bienfaiteur : mais, mari, qu’est-ce ? Ici, Suzette fut fort embarrassée ! Un mari… un mari, monsieur… Mais qui est-ce qui ne sait pas ce que c’est qu’un mari ? — Moi, Suzon, moi ; je n’en sais en vérité rien. — Un mari, c’est un homme… qui a une épouse. — Une épouse ? Hé ! qu’est-ce qu’a voir une épouse ? C’est, par exemple, être marié avec une fille ; vivre avec elle, manger, boire, parler, loger… dormir. — Et si j’étais marié avec vous, nous dormirions ensemble, la nuit ? — Oui, monsieur. Ah ! ma Suzon ! marions-nous ! C’est ce que fera votre oncle, s’il est content de moi… Mais je vous avouerai que je ne sais trop ce qu’il entend, par être bien content de moi ? — Il voudrait peut-être que vous dormissiez avec lui ? Suzette rougit plus qu’elle n’avait encore fait : mais de Neuilli n’y faisait aucune attention, et il la trouvait seulement plus jolie dans ces moments ; il lui pressait les mains dans les siennes. — Ah ! je n’y dormirai jamais (reprit-elle enfin, avec un