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LA PETITE LAITIÈRE

rait vingt-cinq ans, comme elle comptait faire rendre le bien à l’oncle hypocrite, etc. La mère fut émerveillée de tout ce qu’elle entendait, et de l’esprit de sa fille. Il fut conclu que Suzon s’en retournerait au village avec de Neuilli et la première laitière ; tandis que la mère irait vendre son lait, et savoir ce qui se passait à l’hôtel Desgrands. — Mais ma mère ( dit l’ingénieuse Suzon), il me vient une idée : personne neconnait encore M. de Neuilli ; si nous ne le montrions chez nous qu’en fille ! ça serait bien plus sûr ! — T’as raison, ma fille ! Aussitôt Suzette fit entendre à son amant qu’elle l’habillerait comme elle, afin qu’il ne fût pas reconnu. Elle remonta chez la bonne Lanternier avec sa mère ; on prit en deux mots les arrangements ; la laitière alla vendre son lait, et chargea celle avec qui elle voulait d’abord renvoyer sa fille, de lui faire tenir le plus propre des habits de Suzette, dans la matinée. On l’eut à midi. Suzon mit la main à l’æuvre, pour ce qui n’allait pas bien, et habilla son amant tout comme elle. Ce ne fut pas sans de grandes explications de la part du jeune de Neuilli, pour savoir s’il ne deviendrait pas fille, et s’il pourrait toujours épouser sa maîtresse : Suzon le rassura, en lui disant qu’elle serait bien fachée qu’il ne fût plus garçon.

Cependant la vieille laitière était allée vendre son lait. Dès que son cri eut frappé le tympan de l’oreille du vieux Desgrands, il appela tout son monde, et les envoya l’un après l’autre chercher la laitière, sans avoir la patience d’attendre que le premier envoyé fût de retour. Hé bien, madame, votre fille ? — C’est moi qui vous en demande des nouvelles, monsieur ? Que fait-elle ? — Elle n’est pas retournée chez vous ? — Non, monsieur. — Ah mon Dieu ! où sont-ils allés !… Madame, ils se sont sauvés cette nuit, elle et mon neveu. — Votre neveu ! monsieur ! — Oui, mon neveu ; un neveu que j’avais. — Je ne le connais pas. Mais, mon sieur, ma fille est sage, et elle ne s’enfuirait pas comme ça ; vous me la cachez. — C’est mon maudit portier qui leur a ouvert la porte ! Peut-être le coquin