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LA PETITE LAITIÈRE

rade : j’ai l’œil au reste ; d’ailleurs, ma fille est sage. Écoutez, mon neveu ( dit le papelard), je vois que vous aimez Suzette : à quel prix voulez-vous mon consentement pour l’épouser ? Quelle remise me ferez vous sur vos revenus ? — Aucune ; vous n’en méritez pas : toute la grâce que je puis vous faire, après la manière indigne dont vous m’avez élevé, c’est de ne pas me plaindre. Je vous le promets, si tout à l’heure, vous me donnez votre consentement par écrit ; si vous me rendez mon bien ; et si vous me faites, pour les revenus, un titre, qui ne sera valable qu’après vous. Le faux oncle consentit à tout, après avoir tâché d’avoir meilleure composition : il donna son consentement par écrit ; un état des biens de son neveu ; une reconnaissance des revenus qu’il lui devait ; et celui-ci s’engagea, par-devant le notaire qui dressa son contrat, à ne répéter l’article des revenus, qu’après le décès de son oncle.

Tout étant arrangé, de Neuilli, qu’une année de séjour auprès de Suzon avait suffisamment instruit, prit un logement à Paris convenable à sa fortune ; il y retint la laitière et sa fille ; on travailla aux préparatifs de son mariage, et quinze jours après celui de la visite de son oncle, il épousa Suzette la jolie laitière.

Cette aventure n’a pas fait beaucoup de bruit, par le soin qu’a pris l’oncle de l’étouffer. On prétend que pour empêcher son neveu supposé de parler de la manière dont il l’avait élevé, il a jugé, à propos de l’instruire de la supposition. Peu de temps après, le cafard mourut, sans avoir rien révélé dans ses derniers moments, comme il était à craindre qu’il ne le fît, et le faux neveu a exclu tous les autres héritiers. Mais on prétend qu’ayant trouvé, dans les papiers de M. Desgrands, des preuves de sa véritable origine, il a résolu, non de se priver de sa fortune, mais de faire annuellement des restitutions aux parents les moins riches du vieillard. C’est ce qu’il exécute fidèlement. Il vit heureux avec Suzon, qui lui prouve tous les jours sa tendresse et sa reconnaissance.