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LA PETITE LAITIÈRE

dont il acheta l’enfant. Ce neveu prétendu s’est enfui, et va sans doute faire rendre compte à l’oncle : Que peut faire celui-ci ? Peut-il lui dire : Vous n’êtes pas mon neveu ; la preuve, c’est que je vous ai supposé ! — Oui (répondit le juris consulte), il le peut ; et les collatéraux rentreront dans leurs droits. Quant à l’oncle, monsieur le procureur général rendra plainte contre lui ; on le décrétera, et le moins qui puisse lui arriver, sera d’aller aux galères. Et s’il avait eu des motifs criminels pour supposer cet enfant, il pourrait bien être pendu ; c’est suivant. L’hypocrite Desgrands n’eut pas besoin d’en apprendre davantage ; il se retira, très résolu à rendre compte à son faux neveu, à la première réquisition. Il pria la laitière, qu’il voyait tous les jours, d’assurer son neveu, qu’il ne lui en voulait pas, et qu’il le recevrait toujours avec plaisir. Le jeune de Neuilli ne s’en fia pas (ou plutôt Suzon pour lui ; car cette jeune fille l’adorait) aux discours de son oncle : Suzon voulut lui parler elle-même. Mais de Neuilli, qui, en s’éclairant tous les jours avec elle, devenait jaloux, ne voulut pas permettre qu’elle y allât sans lui. Il fut donc décidé, qu’on irait tous les trois, la mère, la jolie laitière, et sa fausse camarade. On partit un lundi matin, et on arriva sur les huit heures à la porte de M. Desgrands. Suzon cria. Le cafard n’entendit pas plus tôt le son de sa voix qu’il parut à la croisée, d’où il invita la mère et la fille à monter. Mais, voyant avec elles une troisième laitière, il leur demanda, si c’était la seur de Suzon. Justement (répondit la mère). Elles entrèrent toutes trois. De Neuilli, quoiqu’il eût alors vingt et un ans, était fort bien en fille : il plut à son oncle, qui lui demanda s’il serait aussi revêche que sa sœur ? — Encore plus, répondit le jeune homme, d’un ton de voix qui le fit reconnaître). Le papelard fut tout honteux. — C’est mon neveu, je crois (dit-il à la laitière) ? — Oui, monsieur, c’est lui-même : voilà l’habit qu’il porte de puis qu’il est chez nous. Comment il vit donc avec Suzon ? Il y vit honnêtement et comme une cama-