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LA JOLIE GAZIÈRE

que les dehors ; que savez-vous ce qu’elle est au fond ? Cette réponse de sa belle-mère avait réduit Manon au silence. Mais le soir de l’expulsion du semestre, Manon revint à la charge : Hélas ! maman (dit-elle à sa belle-mère), sans vous, je serais peut-être exposée comme cette pauvre Colette ! C’est une orpheline comme moi, permettez que je la reçoive ? Ses pleurs m’ont fendu le cœur : ma chère maman, ayez compas sion d’une pauvre orpheline ! — Il faut auparavant que je la connaisse (répondit la prudente Wallon), et quand je la connaîtrai, si elle est ce qu’il vous faut, nous verrons.

Le lendemain Colette, avant d’aller à l’ouvrage, songea qu’il fallait aller remercier ses bonnes voisines : Elle commença par madame Wallon, parce qu’elle se sentait aussi disposée à aimer Manon, que cette jeune fille l’était à aimer Colette. — Je viens, madame, pour vous remercier, ainsi que mademoiselle Manon, du service que vous avez bien voulu me rendre hier au soir, en me débarrassant de ce vilain soldat. — Ah ! mam’zelle Colette, il ne faut plus voir de ces compagnies-là ! — Oh ! je vous en assure bien, madame ! j’aimerais mieux mourir de faim, que d’aller encore souper chez Hélène, dès qu’elle est ce qu’on m’a dit qu’elle était. Mais, madame, je suis toute seule dans ma pauvre chambre : si je pouvais obtenir de vous la permission de venir quelquefois chez vous, sans vous être incommode, ça me ferait bien plaisir ? La mère Wallon ne put refuser ; elle le permit. Et aussitôt Manon alla embrasser Colette, en l’assurant qu’elle voulait être sa bonne amie.

Il faut dire un mot de cette jolie petite Manon, qui avait l’âme si bonne et si compatissante. Elle avait un frère : ce garçon était connu d’un homme de lettres estimable, qui, lui ayant trouvé de bonnes dispositions, s’y était attaché : Théophile (c’est ainsi que s’appelait le frère de Manon) avait donné à celle-ci la connaissance de son protecteur, qui venait souvent chez la mère Wallon, pour former le caractère de sa