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LA JOLIE GAZIÈRE

ces jeunes infortunées, qui toutes languissaient presque également dans la misère, faire tout ce qu’elles pouvaient pour une d’entre elles, qui était jolie, et qui voulait conserver sa vertu ! Combien parmi les gens qui passent pour les plus honnêtes, n’auraient pas cette générosité !

À peine Colette était-elle à son ouvrage, qu’elle commençait à faire plus habilement qu’à l’ordinaire, qu’on vit entrer Hélène, qui la demandait : les gazières se levèrent aussitôt : ces sortes de filles sont très grossières ; c’est la lie du peuple : toutes se mirent à faire des huées à la corruptrice : — Qu’est-ce qu’elle demande donc, cette marchande de casse-noisettes ? — Pardi ! elle vient chercher Colette ? — Elle est bien gentille, dà, Colette ! dame, cela lui profiterait ! — Quoi donc qu’elle en veut faire ? — Ce qu’elle en veut faire ? Que sais-je, moi ? une curiosité de la foire, car elle aura des aboyeuses, qui tireront le monde par la manche pour les faire entrer. — Je crois, moi, qu’elle en fera plutôt la princesse des soupirs, qui s’étendra sur son sofa, où on viendra la manier : Ma reine, ma princesse, ma mignonne, ma poule ! Bon ! ma princesse ! ma reine ! elle en fera cet acteur de parade qu’on nomme paillasse… Hélène interdite par ces propos, malgré son ef fronterie, n’osait avancer. Une de ses anciennes compagnes fut la prendre par la main, trois ou quatre autres, la poussèrent par le dos, et la conduisirent auprès d’un monstre de laideur, qui travaillait dans un coin… Tiens, la Hélène, tiens la Des-Allures, voilà celle que je vais te donner, si tu veux : mais pour Colette,


On t’en ratisse, tisse, tisse, on t’en ratissera !


Ce mot fut le signal : toutes les ouvrières s’avance rent et se jetèrent sur Hélène, qu’elles écharpèrent ; l’une lui enleva son battant-l’œil qu’elle mit en pièces ; l’autre lui déchira son fichu ; celle-ci coupa le falbala de son jupon avec les forces qui leur servent à découper ; d’autres lui jetèrent au visage de l’eau sale, et la barbouillèrent de suie et de cendre. On la mit à la porte dans