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LA DERNIÈRE AVENTURE

mon corrupteur… » Ô monsieur de Blémont ! pour un homme d’esprit, vous venez de vous conduire en franche bête, en véritable insensé. Rendez grâce à l’amitié ; plus encore à ma façon d’aimer qui me fait supporter avec longanimité les défauts, les vices mêmes de ceux que j’ai une fois aimé, sans cela je vous abhorrerais ; j’ai besoin de toute la force de mon attachement pour vous en cette occasion, afin de m’empêcher de vous mépriser, de vous haïr. Vous croyiez Élise innocente, forte apparemment : une fille élevée à Paris, qui a été au couvent, qui a vécu avec de nombreuses compagnes de tous les caractères, de toutes les mœurs peut-être, connaît la signification de tous les termes de la langue française, sans en avoir le cœur moins innocent. Elle a entendu vos gaudrioles, parce qu’elle ne pouvait manquer de les comprendre ; d’ailleurs, je sais, par vos propres expressions, que vous avez eu soin de les rendre fort claires. Vous concluez de l’intelligence que vous avez donnée vous-même, qu’on l’avait auparavant, vous faites comme un homme qui, voyant un arbre avec une belle tige dans un jardin, la casse et le fait ensuite arracher parce que la tige est cassée. C’est vous seul qui avez fait connaître les choses dont on connaissait à peine les signes. Il vous faut une épreuve… C’est ce qu’on verra ; car avec une épreuve à votre façon, vous mettriez la jeune personne dans le cas d’être, ou telle que vous l’accusez, ou de vous fuir comme le plus dangereux et le plus vil des hommes. Vous la croyez intéressée ; il est à souhaiter pour vous qu’elle le soit, si vous prétendez à son cœur, et que le motif de la reconnaissance puisse vous le donner un jour, à défaut de l’estime, que vous ne méritez plus. C’est le second moyen, pour les hommes de notre âge, de gagner un jeune cœur, je vous ai indiqué le premier ; mais n’y prétendez plus. Peut-être aurez-vous la folie de lui faire un crime d’être intéressée, c’est-à-dire prudente, prévoyante, en un mot, d’avoir, fille, les qualités qui font la prospérité d’une maison et le bonheur d’un mari dans une épouse. Vous m’accoutumez à vos conséquences et j’y réponds, très persuadé que vous les avez. Eh, dites-moi, plus que cinquantenaire, quel motif voulez-vous donc qui vous attache une fille, si ce n’est la raison (surtout après, qu’en vieux libertin vous avez fermé son cœur à l’estime). Le goût ? Mais le goût naturel est impossible pour un homme de notre âge ; il en faut un factice qui ait pour principe l’amabilité, l’estime ou l’intérêt, peut-être tous les trois ensemble. Voudriez-vous, homme déraisonnable, qu’en vraie folle elle se jetât à votre tête et vous accordât, fille, la dernière faveur ? Mais s’il fallait cela pour vous plaire, ce serait très tant pis pour vous, car vous ne pourriez avoir aucune assurance, aucune confiance dans une pareille folle. Pauvre insensé qui prétendez encore être heureux, et qui voulez des chimères impossibles à réaliser, que je vous plains !… Si