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INTRODUCTION

génie, mais plus spécialement dans le Soulier de Fanchette, où son goût maladif pour le pied féminin se donne libre carrière. Citons-en un exemple, pris dans ce roman entre beaucoup d’autres. Un soir Saintepallaie-Restif, dans la rue, qui était son cabinet de travail, aperçoit « dans une jolie mule brodée en argent un petit pied qui paraissait celui d’une poupée. Ebloui, enchanté, ravi, il suivit la déesse ; il ne put l’abandonner, mais enfin elle rentra chez elle. Il remarqua sa demeure et ne manqua pas de revenir tous les jours pour voir ce pied vainqueur ».

Restif, dans ses amours, montait plus haut que le pied, car il se vante à plusieurs reprises d’avoir eu plus de cent cinquante filles naturelles. Il ne compte pas les garçons, les considérant sans doute comme une quantité négligeable. Cent cinquante filles, même pour un érotomane, c’est beaucoup. On pourrait je crois, sans inconvénient, réduire ce chiffre des deux tiers, tout en remarquant que la vie entière de ce père innombrable fut consacrée à l’amour.

Sa littérature s’en ressent. La grande supériorité de Restif de la Bretonne comme romancier, c’est qu’il n’a pas d’imagination. Il n’a pas inventé péniblement de petites aventures sans intérêt. Il ne raconte, et avec une précision extraordinaire, que ce qu’il a vu ou entendu, ce qui s’est passé dans son quartier, dans sa rue, dans sa maison[1], et surtout ce qui lui est arrivé à lui-même. Ce qu’on appelle ses romans, c’est presque uniquement l’histoire de ses maîtresses, des femmes qu’il a aimées, et il en a aimé beaucoup. Rien à cet égard, dans aucun pays, n’a l’intérêt documentaire et la valeur psychologique ou physiologique, comme on voudra, de ces confessions en deux cents volumes, extraordinairement minutieuses et d’une sincérité effrayante. Jamais

  1. Cubières-Palmezeaux remarque qu’il avait l’habitude de noter tous les soirs ce qu’il avait vu et entendu dans la journée.