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INTRODUCTION

homme ne s’est ainsi mis à nu devant la postérité, et en même temps n’a mieux révélé, avec cette masse énorme de portraits et d’observations, l’âme féminine.

Ce côté, si curieux et si passionnant, du talent de Restif avait vivement frappé Schiller. Il écrivait à Goethe, le 2 janvier 1798, à propos de Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé[1] : « Je n’ai jamais rencontré une nature aussi violemment sensuelle ; il est impossible de ne pas s’intéresser à la quantité de personnages, des femmes surtout, qu’on voit passer sous ses yeux, et à ces nombreux tableaux caractéristfques qui peignent d’une manière si vivante les mœurs et les allures des Français[2]. »

Ceux qui n’ont aperçu dans ce grand romancier que sa « pornographie » sont des malades ou des imbéciles. Ils n’ont pas su le lire et ils ne l’ont pas compris. Il y a dans ses livres, dans tous ses livres, deux choses qui justifient pleinement le succès qu’il obtient aujourd’hui, à l’étranger comme en France.

Rivarol disait du Tableau de Paris que c’était « un ouvrage pensé dans la rue et écrit sur la borne ». Plus encore que Mercier, Restif mérite cet éloge. La rue, personne aussi bien que lui n’a su la voir et la décrire. Tout le Paris populaire de ce temps revit dans ses livres : gens de petits métiers et d’obscure condition, gardes-françaises, clercs et procureurs, servantes, Manon et Margot, et Javotte, et Lafleur, marchandes, lingères, modistes, charcutières, bouchères ou tripières, des femmes que le duc de Saint-Simon ou le marquis de Dangeau auraient jugé peu dignes de passer à la postérité mais dont la noblesse savait à

  1. Qui avait paru en 1794. J’aurai souvent à citer dans mes notes l’excellente réimpression abrégée, publiée en trois volumes par M. John Grand-Carteret à la librairie Louis-Michaud.
  2. Passage reproduit par Assezat dans sa biographie de Restif en tête de la réimpression des Contemporaines, Paris, 1875, t. I, p. 26.