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LA DERNIÈRE AVENTURE

s’ennuie mortellement quand elle n’est pas auprès de toi. Tu es si tendre pour elle. Mille millions de baisers. Adieu, car je ne sais ce que j’écris, et il faut partir. Ne m’oublie pas une minute, tu ferais injure ; je penserai toujours à toi.

Cette lettre, ces précieuses assurances m’endormaient.

Depuis que je ne voyais presque plus la mère, c’était à Sara que je remettais l’argent de sa pension. Je ne sais à quelle occasion, elle me proposa un jour de reprendre cet argent et de lui en faire le billet. « Tu l’emploieras à l’avancement de tes affaires et tu le feras valoir pour moi, me dit-elle. » J’y consentis par ce motif, car mes affaires devaient intéresser Sara comme moi-même. Cependant je crois qu’elle fut fâchée d’avoir été prise au mot. Il faut si peu de chose pour blesser une femme !…

Le rapide récit des événements m’a fait oublier une partie que j’avais faite avec Sara au carnaval. Je donnai un dîner à différents artistes. J’en mis Sara, sa mère et Valfleuri. Nous étions alors dans notre plus grande intimité, Mlle Lee et moi. Sara et sa mère vinrent élégamment parées ; outre les hommes, il y avait ; deux jeunes personnes très jolies, dont une surtout avait ces grâces qui l’emportent sur la beauté. Elle me frappa. C’était une brune vive, enjouée. Un sentiment singulier s’éleva dans mon cœur, en causant avec elle. « Qu’elle est aimable ! et pourquoi n’ai-je pas connu cette aimable fille, lorsque j’étais isolé ?… » Cette réflexion me fit rougir de mon injustice et, jetant un coup d’œil sur Sara dont je rencontrais toujours les yeux, animés de l’expression la plus flatteuse, je me dis : « Ah ! félicitons-nous plutôt de ce que cette jolie brune que je sens bien que j’aurais aimée, ne m’a pas privé du bonheur de me lier avec ma jeune amie !… » Quelques mois après, dans le temps où ma rupture avec la mère de Sara me faisait craindre d’être séparé de sa fille, il me vint en idée de me ménager un asile contre le désespoir, en cultivant la connaissance de l’aimable brune. Je tâchai de me trouver avec elle chez une connaissance qui nous était commune. J’y réussis ; mais comme si tout eut dû tourner contre moi, elle ne me parut plus aimable ; ses discours, ses manières, sa mise, tout me dé-