Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
LA DERNIÈRE AVENTURE

Sara tremblait que je ne proposasse d’aller les joindre le soir ! Je répondis poliment à Mlle Lee et je fus charmé de ce qu’elle revenait la première. Elles rentrèrent le soir à neuf heures et nous soupâmes à l’ordinaire tête-à-tête. Sara et moi, sans qu’elle me dit un mot de ce qui se passait, ni du voyage projeté pour le lendemain.

Jalousie ! tourment affreux ! Monstre vomi par l’enfer ! Qui t’a formé ! Quel est ton but, ton utilité, ton usage ! O ! le plus dangereux des poisons ! Quelles affreuses convulsions tu causes à l’âme… Heureux, heureux ! qui ne t’a jamais éprouvé !

Le lendemain, je vis Sara ; je déjeunai avec elle. J’allai ensuite à mes affaires et je rentrai tard ; il était plus d’une heure. Je m’aperçus qu’on était sorti. Valfleuri étant depuis quelques semaines dans sa patrie, et les deux femmes ne laissant personne chez elles, je ne fus pas surpris de voir le cadenas mis à la porte de l’appartement au premier. Je passai tranquillement la soirée jusqu’à neuf heures, celle où je soupai ordinairement avec Sara. L’inquiétude me prit à la demie ; à dix heures je ne pouvais tenir en place. Cependant je ne soupçonnais rien encore. À onze, le cœur serré, tourmenté par une crainte vague, j’étais en colère contre Sara ; je me promettais de la gronder, Je sortis pour aller faire le tour de l’Île Saint-Louis. J’écrivis sur la pierre mes tourments. Je revins ; le cœur me battait d’espérance. Sont-elles arrivées ?… J’avance : point de lumière !… Je rentre. Le cadenas n’est point ôté !… Je voulus souper. Impossible !… Je m’agite, je me tourmente, je me promène à grands pas… Enfin, à minuit, mes yeux fondent en larmes… Je me rappelle ce que m’a dit Sara, lorsque sa mère l’avait autrefois conduite au Palis-Royal et qu’elle y fut abordée par un homme de distinction. Je la crois livrée, livrée malgré elle… Je m’écrie douloureusement : « Ô mon amie ! mon aimable, mon innocente amie ! une barbare t’a trompée sans doute ! elle t’a livrée ! Elle t’enlève à ton père, à ton ami, à l’homme qui t’aimait plus que lui-même !… » Et je pleurais en sanglotant, je marchais, je courais… Je retournai à une heure autour de l’Île Saint-Louis ; fis retentir de mes cris