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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/225

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

alors avec elle. Je me contentai de chercher à détruire mon rival, et d’employer contre lui les mêmes moyens qu’il mettait en usage, contre moi.

J’en étais instruit par la mère de Sara ; cette femme, par une finesse de son état, sentit qu’il fallait qu’elle nous brouillât assez, de Lamontette et moi, pour nous empêcher de nous revoir. Dans cette vue, elle me le peignit sous les plus noires couleurs ; elle m’assura qu’elle le détestait : qu’elle ne comprenait rien à son existence ; que sûrement il avait une manière d’être qui annonçait un homme dangereux. Elle me rapportait tous les discours qu’il tenait ; elle y ajoutait ; elle les brodait. J’ai même tout lieu de croire que ma tendre fille, mon rival, et la mère s’entendaient, et que leur but était de m’inspirer une crainte conforme à leurs vues. Quoi qu’il en soit, voici ce que me répéta Mme Debée-Leeman : « Monsieur Nicolas a été bien malheureux ! mais en ce moment ! Ah ! Il l’est plus que jamais… Plus que jamais ! » répétait-il en regardant Sara, et en souriant d’un air de compassion à mon égard. Quelques instants après, il disait : « J’aime bien la bonne amie de M. Nicolas ! Ha ! qu’il est agréable d’avoir la bonne amie de M. Nicolas ! » Ces propos m’étaient revenus dans l’esprit le soir de notre altercation. Je lui avais dit, que j’avais fait une épreuve par ma conduite avec Sara, dont elle ne s’était pas tirée à son honneur : qu’elle avait l’âme dure, et que j’étais revenu de mes sentiments pour elle. Mon homme avait pris feu à ce discours : il s’était écrié que j’allais la haïr (comme s’il avait dû en être bien fâché) ! J’avais entrepris de m’expliquer : mais il n’avait pas voulu m’entendre, il avait parlé en même temps que moi, et c’avait été l’offénsé qui avait querellé l’offenseur. La mère, après m’avoir rapporté ces propos, ajouta qu’il avait été furieux pendant le souper. Que signifiait cette comédie ? et en quoi la dureté dont je m’étais plaint, de la part de Sara, intéressait-elle l’homme qu’elle me préférait ? Pourquoi en paraissait-il furieux ? Hélas ! il croyait en imposer par là plus aisément à une jeune imprudente, qui se livrait sans connaitre !… La révoltante image qui s’offre à ma pensée, ne ferait qu’augmenter mon indi-