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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/226

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LA DERNIÈRE AVENTURE

gnation… Mais Lamontette était lui-même joué par ces deux femmes, qu’il croyait subjuguées… Tout était concerté entre la mère et la fille. Avec Lamontette, on convenait de m’effrayer par son crédit, par l’idée qu’on prétendait me faire prendre de certaines commissions secrètes, dont on le supposait chargé par le Gouvernement : avec moi, la mère exprimait les craintes qu’elle avait de lui, afin de m’en inspirer. La fille jouait un autre rôle : quand je l’interrogeais, elle ne me parlait qu’en bien de mon rival ; elle me disait confidemment, qu’il n’était rien de ce que sa mère m’avait dit : que c’était elle seule qu’on voulait effrayer. Elle ajoutait ensuite (et voici la finesse de cette fille naïve), qu’à la vérité M. de Lamontette avait un crédit très grand, mais qu’il était trop honnête pour s’en servir contre moi. « Nous agissons de concert pour effrayer ma mère, ajoutait-elle ; nous convenons en son absence de ce que nous dirons devant elle : ce sont des choses vraies, si vous voulez, mais qu’on pourrait se dispenser de dire : d’ailleurs, pour l’intriguer davantage, il lâche des mots sans suite ; il affecte d’avoir des dépêches secrètes très pressées. Quand son ami (le même qui avait diné avec nous) vient le voir, ils parlent ensemble à demi bas, et par leurs expressions, ils lui causent des frayeurs qui m’amusent. » Tel était le langage de la délicate Sara ; l’imprudente osait tenir ces propos à l’homme qu’elle trompait !… Son assurance, dans ces occasions, commença de me prouver combien elle devait être exercée dans l’art des courtisanes, et je m’en voulus moins de m’être laissé tromper… Ho ! si du moins je l’avais entièrement connue alors !

La mère ne s’amusait pas moins à mes dépens que la fille. Après m’avoir rapporté tout ce qu’elle croyait avoir entendu, ou tout ce qui se disait dans leur tripot, elle jouissait de mon indignation, de mes fureurs, de mon emportement. À son retour auprès de Lamontette et de sa digne fille, elle ne manquait pas de rapporter tout ce qu’elle m’avait ouï ou fait dire de mon rival ; elle m’attribuait en outre ce qui était sorti de sa propre bouche ; elle irritait de Lamontette ; elle l’obligeait à se répandre en menaces, qui m’étaient exactement rendues, auxquelles je ré-