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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/261

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

j’aperçus à la fenêtre une femme (j’ignorais si c’était la mère ou la fille), qui gesticulait en parlant à un grand clerc de procureur. Je la fixai, en avançant toujours. Je crus voir la mère, qui faisait des signes très intelligibles au jeune clerc ; celui-ci lui répondait sur le même ton. Je passai sans regarder la femme en face. « J’y suis enfin, pensai-je, elle a d’autres vues pour sa fille ! M’y voilà ! » Je me hâtai de faire la chose pour laquelle j’étais sorti, et je revins sur-le-champ. La dame était encore à la fenêtre vis-à-vis le jeune homme. Je passai. Mais une réflexion me fit entrer dans la maison. Je courus au fond de la cour, croyant y trouver Sara. Je voulais lui apprendre que sa mère faisait une nouvelle conquête pour elle. Mais quelle fut ma surprise de trouver la mère !… Je lui demandai la permission, que j’obtins, de parler à sa fille. Je vis alors clairement que c’était Sara, qui venait de faire au clerc de procureur les signes d’intelligence qui m’avaient révolté, même de la part de sa mère ! Je ne pouvais revenir de mon étonnement : « Ce rival si chéri, voilà déjà qu’on lui donne un successeur ! » Je ne sais ce que j’éprouvai ; mais le mouvement que je ressentis ressemblait à de la joie. Je me crus guéri par l’indignation. Point du tout ! l’inconcevable sentiment de l’amour se fortifia par l’idée que mon rival était abandonné. Insensé ! qui ne voyais pas, en ce moment, qu’un amant jeune, aimable, était bien autrement dangereux ! Que fis-je cependant ? je renouai ! et je tâchai de gagner par des bienfaits cette âme vénale !… À la vérité, je sentais ma folie : j’hésitais à donner ; mais à l’instant du don, j’y trouvais un plaisir si vif et si pur, que j’en étais payé par le don même, quoique fait à une ingrate.

Un jour, que j’avais financé. Mme Debée me raconta, triomphante, comment, en allant aux Tuileries, elle avait donne le congé absolu à mon rival. Elle passait avec sa fille et Florimond par la rue des Noyers[1]. Lamontette les avait rencontrées tout à l’entrée et sapprochant de cet air ouvert qui lui est naturel :

  1. Dans le quartier Saint-Benoit, de la rue Saint-Jacques à la place Maubert. Elle tirait son nom des noyers qui étaient plantés dans le clos Bruneau.