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LA DERNIÈRE AVENTURE

répondit Louise, en souriant, que j’engage monsieur à se trouver ici à son arrivée. » Cette réponse ferma la bouche à la dame. Elle se retira mécontente, et je sortis aussitôt.

Le lendemain, j’eus de la peine à m’empêcher d’aller chez Louise avant l’heure fixée par elle-même. Je fis alors une réflexion ; que mon cœur allait encore plus vite que notre connaissance, quoiqu’elle fût assez prompte. « Serais-je encore susceptible d’amour ? pensai-je… Examinons mon cœur. » J’y descendis, la lampe de la raison à la main, et je vis que je m’étais laissé prendre sans m’en apercevoir. L’idée de ne plus voir Louise me fit frémir. À mon âge !… Cette pensée me parut désolante. Je ne me rassurai qu’en me représentant la manière obligeante dont Louise en agissait avec moi. Je me consolai : « C’est un caractère charmant, pensai-je, unique, fait pour un homme de mon âge. Bénissons la nature qui a varié les goûts de ses enfants, pour les rendre, les uns par les autres, heureux à tous les âges !… »

J’étais cependant en proie à la perplexité, lorsque l’instant de partir arriva. Je n’en fus pas moins empressé à me rendre chez Louise. Je la trouvai seule, un peu triste, j’en fus effrayé : mais je n’osai le témoigner. « Mon frère n’arrive pas, me dit Louise après les premiers compliments ; il me l’écrit, voilà sa lettre : (je la lus) ; et la dame que vous avez vue ici hier, dit que je ne dois plus vous recevoir. » Je fus anéanti à ce mot. Mon cœur se serra. Je ne pouvais trouver de réponse ; en un instant, toute la nature changea pour moi, tout m’y déplut. Je balbutiai enfin quelques mots : « Mademoiselle, pourquoi ?… Vous ai-je manqué ?… — Mon Dieu, non ! et j’en serai aussi fâchée que vous : mais enfin, la dame d’hier m’a fait dire la même chose par une dame fort respectable de la maison voisine. Attendez le retour de mon frère : mais cependant, comme vous comptiez diner ici, restez : vous y êtes, il ne serait pas honnête que je vous laissasse partir. » Je remerciai Louise, sans savoir ce que je disais, car je brûlais de rester, et je restai en effet. Aussi n’entendit-elle pas mon refus. On servit et nous nous mîmes à table. Je ne pus