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D'UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

Louise : « Madame, je me nomme d’Aigremont, et mademoiselle peut vous avoir parlé de moi. — Non, monsieur, jamais, je vous assure. — En effet, reprit Louise, je n’ai encore parlé de vous à personne d’ici. » On en resta là. Nous causâmes tous les trois, et je tâchai de m’établir avantageusement dans l’esprit de la voisine, qui me paraissait une rusée. Je me flattai d’y avoir réussi, et lorsque j’eus resté assez longtemps, je me retirai. Louise vint seule me reconduire, et je crus pouvoir lui recommander de ne pas dire combien notre connaissance était nouvelle. Elle me le promit en riant.

Je n’imaginai pas qu’il fût nécessaire de demander la permission de revenir ; je me la croyais acquise. Aussi n’y manquai-je pas, le lendemain matin à neuf heures. Je trouvai Louise en petit déshabillé charmant. Elle parut surprise de me voir si matin : mais elle ne m’en reçut pas avec moins de plaisir, à en juger par ses discours. Elle alla donner ses ordres à une cuisinière, revint auprès de moi, et un quart d’heure après, on nous servit du chocolat. L’agréable déjeuner !… Vers la fin, la voisine de la veille entra. Louise la reçut d’un air riant et sans mystère, comme une jeune personne qui sent qu’elle n’a rien à se reprocher. Mais cette femme prit à mon égard un air fier et demi courroucé. J’en fus surpris ; et je présumai que, malgré ma recommandation, Mlle Louise avait parlé de la manière dont elle me connaissait. Je tins le même langage que la veille, et j’allai ensuite jusqu’à demander à Louise si M. Bàlin devait bientôt arriver ? « Demain, monsieur », se hâta de répondre la voisine. J’affectai la joie la plus vive, et m’adressant toujours à Louise, je lui dis, que j’aurais l’honneur de saluer son frère, dès l’instant de son arrivée, si je pouvais le deviner. « Ce sera pour diner, me répondit Louise vivement. — En ce cas, je viendrai sur les trois heures. — Non, venez plutôt avant, nous causerons, et je l’attendrai avec moins d’impatience. » La bonne voisine ne put tenir à cette réponse. « M. votre frère trouvera-t-il bon, Mademoiselle, que monsieur, qu’il ne connaît pas, soit venu ici durant son absence ? — C’est parce que je veux qu’il le sache,