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LA DERNIÈRE AVENTURE

manger. J’avais la poitrine oppressée, je dis à Louise les choses les plus tendres, quoique très réservées. Elle y répondit, en me marquant beaucoup d’attentions. Enfin le dîner finit et je me vis obligé de prendre congé d’elle. Ce moment fut cruel, mais à l’instant où j’allais la perdre de vue, elle me rappela : « Vous ne pouvez plus revenir ; mais mon frère ne tardera pas, donnez-moi votre adresse ; je vous ferai savoir son arrivée et ses dispositions. » Ce trait m’enchanta. Plus je le trouvais extraordinaire de la part d’une jeune personne charmante et bien élevée, plus j’en étais flatté. Je me retirai content. Le lendemain, je me trouvai assez tranquille. Le surlendemain, je souffris ; le troisième jour… oh ! qu’il fut cruel !… Je passai le soir dans le quartier de Louise pour tâcher de l’entrevoir ; je ne pus avoir ce bonheur. Le quatrième, n’y pouvant plus tenir, je me hasardai d’aller chez elle, mais avec précaution. J’écoutai dans l’escalier si j’entendais quelque chose. Je fus servi suivant mon désir. C’était la voisine et le frère qui causaient :

« Je n’aurais jamais cru, disait la première, que Mlle Louise fût aussi inconsidérée. Elle l’a reçu, comme vous ou moi, sans appeler, sans m’avertir. Je suis venue en les entendant parler. — Elle est innocente, madame, répondit le frère, mais je crains son innocence ; c’est pourquoi elle restera au couvent jusqu’à ce que mon ami soit de retour et elle n’en sortira que pour l’épouser. — Oh ! elle aime les hommes. Savez-vous que celui-là paraissait bien quarante ans ? — Je n’en suis pas fâché, mon ami a cet âge à peu près. — Vous avez bien fait de la faire partir et de la surveiller ; je sais qu’elle a écrit à cet inconnu le jour de votre arrivée et j’ai retiré la lettre des mains de votre cuisinière. La voici, lisez-la ; car je ne l’ai pas décachetée. »

Le frère lut bas, ensuite haut, à peu près ce qui suit :


Lettre de Louise a M. d’Aigremont

Mon frère est arrivé, monsieur. Hâtez-vous de venir le voir, car je crains qu’on ne le prévienne mal : on lui a déjà parlé contre vous. Il m’a fait des reproches de vous avoir reçu en son absence. Je l’ai bien