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D’UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

assuré que vous êtes le plus honnête homme du monde, et très aimable. Tout cela n’y fait rien : mais il lui suffira de vous voir pour prendre, à votre égard, les mêmes sentiments que vous m’avez inspirés.

Je suis, monsieur, en vous attendant,

Votre très humble
Louise-Elisabeth Balin.

« Elle ne le verra plus ! dit le frère, en achevant de lire, mais cette lettre prouve bien son innocence. Adieu, madame. »

Il rentra, et je me retirai, la mort dans le cœur, jurant d’éviter toutes les femmes le reste de mes jours.

Je me tins parole quatre années. Mais, en 1776, le 23 juin, mon malheur me fit faire connaissance d’une grande et jolie personne, nommée Silvine F***. Un enchainement singulier de circonstances nécessita notre liaison. Je la trouvai adorable, et mon cœur s’attacha en si peu de jours, qu’à l’instant où je voulus fuir, la chaine était déjà trop forte pour la briser. Je suivis le char de mon vainqueur. Mais hélas ! que d’angoisses j’eus à dévorer ! Autant Louise était honnête et douce, autant Silvine était coquette et décidée. Je m’aperçus bientôt qu’elle avait un amant aimé, quoiqu’elle eût tout fait pour m’engager. Je crus briser ma chaine à l’aide de cette découverte ; je le devais, mais la raison ne fut pas la plus forte. Je souffris six mois un supplice affreux, moins cruel que celui que j’éprouve aujourd’hui.

Débarrassé de cette coquette par la suite, j’allai me jeter dans les bras de cette ancienne amie que j’avais connue en 1768. Je ne l’avais pas aimée, à proprement parler, mais j’avais été prêt à l’aimer ; je ne m’en étais éloigné que par délicatesse ; j’avais eu et j’avais encore beaucoup d’amitié pour elle. Je revis Élise T***[1]

  1. Sur Élise Tulout, que Restif connut dans les huit derniers mois de l’année 1768, et qui était la parente de sa femme (voir Monsieur Nicolas, t. III, p. 120). « Cette Elise Tulout lui avait écrit le 20 avril 1780, par l’entremise de la veuve Duchesne, libraire : « Trois années d’absence n’auront peut-être banni de votre mémoire ni mon nom, ni ma personne ; du moins j’en juge par moi. Dans cette persuasion, je m’adresse à vous pour une petite affaire… » Restif répondit qu’il était malade et ne voyait personne. Mlle Tulout lui adressa une lettre très digne et très spirituelle, qui ne fut pas la fin