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LA DERNIÈRE AVENTURE

mes livres, mais d’un air qui témoignait assez l’envie flatteuse de les garder. Je l’en priai en lui en donnant de nouveaux. C’était une bagatelle ; mais elle en parut si pénétrée de reconnaissance, que je fus touché de ses remerciements ; le tendre intérêt qu’elle m’avait toujours inspiré se fit alors sentir avec une effrayante vivacité. Je hasardai quelques caresses qui furent accueillies avec cette modeste rougeur, le seul fard qui augmente la beauté. Sara paraissait l’innocence même et sa timidité augmentait la naïveté de ses charmes.

Le dimanche suivant, elle ne manqua pas de monter chez moi ; à chaque fois, c’était de ma part un nouveau présent de livres ; mais la reconnaissance de Sara allait plus loin que ma générosité. Ses charmes, sa jeunesse excitaient mes désirs ; j’avais appris sur son compte, depuis ses visites, certaines anecdotes qui m’eussent enhardi ; mais l’honnête timidité de sa conduite m’y rendait incrédule ; je respectai son innocence, je lui marquai de l’estime, du respect, j’étais prêt à lui marquer de l’attachement. Elle le sentit ou sa mère le sentit pour elle. Car dès que j’en fus à ce point, Sara me fit des visites plus fréquentes et plus longues. Elle me montra d’abord des chansons, très bien choisies ; elle me chanta celles qui avaient du rapport à son sexe, à son âge et à la situation qu’elle voulait prendre avec moi. J’étais enchanté de sa familiarité. Si l’on a les sens moins combustibles, à quarante-cinq ans, le cœur est beaucoup plus tendre, et plus la femme est jeune, plus l’émotion est vive et délicieuse. Qu’on juge de ma situation en voyant la plus jolie bouche, en entendant une voix intéressante me dire :

Mon cœur soupire dès l’aurore ;
Le jour, un rien me fait rougir ;
Le soir, mon cœur soupire encore ;
Je sens du mal et du plaisir :
Tout à mon âme te rappelle,
Je jouis de mon erreur :
Ah ! dis-moi, comment on appelle
Ce qui se passe dans mon cœur ?