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LA DERNIÈRE AVENTURE

même, une jeune personne ne peut se donner le goût, l’amour, le penchant ; mais je pense aussi, qu’un homme de mérite peut faire naître ces trois choses, en s’y prenant d’une certaine manière. — Ah ! mademoiselle, vous vous abusez ! — Je pourrais vous assurer que je ne m’abuse pas. — Peut-être mon ami vous en aura-t-il donné la preuve ? — Notre connaissance est trop nouvelle pour cela ; mais, s’il faut parler sincèrement, il m’a prouvé tout le contraire… Vous êtes son ami, je crois que c’est à vous que je dois m’ouvrir à son sujet : M. de Blémont est un homme étrange ! Il répète jusqu’au rabâchage les choses qu’il ne faudrait que laisser entrevoir, encore sous un voile à demi levé. Après quelques minutes d’entretien, il m’a demandé crûment si j’avais de la répugnance pour lui ? Je n’ai su que répondre à un pareil langage, qu’on pourrait appeler grossier. J’ai cependant tâché d’être polie. Mais il a répété tant de fois la même question, qu’il m’a ennuyée. — C’est qu’il vous parlait d’un malheur qu’il redoutait beaucoup ! — Il ne s’en est pas tenu là : il m’a fait très longuement l’insipide histoire d’une femme au-dessous de lui, qui l’a bassement trompé ; il ne m’a pas fait grâce du plus petit détail. Ceci m’a révoltée, et j’aurais quitté la partie, si différentes considérations ne m’avaient retenue, c’est se donner à soi-même un rôle… assez sot, que de se présenter comme dupe ; surtout, lorsque par un aveu sincère de sa conduite, on montre aux autres qu’on a mérité de l’être. — Je conviens avec vous, mademoiselle, que c’est une imprudence de vous avoir tenu ce langage. Mais cela ne marque toujours que la crainte de vous déplaire. — Cette crainte-là ne doit pas s’exprimer ainsi. D’ailleurs à une première visite, il y avait mille autres choses à me dire ! Que ne me tenait-il, par exemple, la même conversation que vous avez eue ensemble à mon sujet et que vous m’avez rendue, le même soir, d’une manière si capable d’intéresser ! C’était ce langage honnête et touchant, que j’espérais ; c’était ce qui m’avait fait accepter son bras, sans répugnance, et même avec plaisir. — Peut-être était-il troublé, mademoiselle ? Avec ce minois si propre à tourner la tête d’un sage, on n’est pas toujours rassis.