Page:Restif de la Bretonne - Mes inscripcions, éd. Cottin, 1889.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Florimont, sur les 9 h. du soir. Je me jetai dans un potager, je les laissai passer, et je les suivis. J’étais furieux : il y avait des instants où j’étais tenté d’aller ôter, à Lavalette, le bras de Sara, en lui disant : « Je paie cette fille, elle est à moi… » Je ne sais ce qui m’empêcha de le faire[1]. O passions ! comme vous égarez l’homme ! Un peu moins de raison, ou plus de hardiesse, je fesais un éclat qui pouvait perdre trois personnes…! En revenant, j’écrivis mes dates de la rue Saintonge au Marais, dates célèbres, et dont je n’ai pas encore parlé. Il faut que j’en donne ici l’histoire.
124. 14 7bris 1769. (14 septembre 1769.) Telle est la première date, au mur du jardin qui fait angle avec les deux rues Saintonge et de Normandie. Cette date est celle du jour où je possédai Victoire[2], fille fugitive d’un procureur, qui m’a rendu chère à jamais la rue Saintonge. C’est elle qui me fit dire longtemps,

  1. Ce qui l’en empêcha, selon Monsieur Nicolas, c’est la réflexion qu’il valait mieux dissimuler, ne point faire d’éclat, réclamer les bijoux donnés à Sara et dont Lamontette se faisait honneur : mauvaises raisons pour différer la rupture !
  2. Victoire Dorneval, fille d’un procureur, maîtresse qui succéda à Élise Tulout. Elle avait été contrainte, par sa belle-mère, de quitter, à l’âge de onze ans, la maison paternelle, et d’habiter rue Saintonge, au Marais, une maison mal famée, où Restif la connut. Voir les Nuits de Paris : « Jamais je ne manque de la visiter, à certaines époques, depuis longtemps !
    Le 14 septembre, le 2 octobre et le 9, le 1er janvier, le 25 mars, le 9 mai, le 2 juillet, et, lorsque je suis parvenu au coin de la rue de Normandie, au pied de la terrasse d’un petit jardin, je regarde une croisée en face et mes yeux se remplissent de larmes ; une douleur vive, quelquefois délicieuse, abreuve mon âme et je m’écrie, ou je chante :

    « C’est là qu’était Victoire,
    « Objet plein de douceur, etc. »