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Préface.

les ouvrant pour y prendre ses notes, il ne put se défendre d’un accès d’attendrissement : « Les voilà, ces antiques cahiers, depuis quarante à quarante-cinq ans dépositaires fidèles de toutes mes pensées, écrites à mesure pour moi-même, non pour tromper les autres : je les dérobais à tout le monde… »

Il les relisait souvent et, à chaque lecture, ajoutait des commentaires en marge : « O tempus felix, écrivait-il en 1763, à l’aspect des premiers vers, quomodo abiisti ? Ebrietas diva juvenum, nunquam redibis ! » Il conservera, dans ses inscriptions de l’île, l’habitude de revoir et d’annoter les dates.

Voyons maintenant à quel mobile il obéissait. Il le dit dans Monsieur Nicolas :

« J’avais pour but principal de me ménager des anniversaires, goût que j’ai eu toute ma vie, et qui sera sans doute le dernier qui s’éteindra. L’avenir est pour moi un gouffre profond, effrayant, que je n’ose sonder ; mais je fais comme les gens qui craignent l’eau ; j’y jette une pierre. C’est un événement qui m’arrive actuellement. Je l’écris, puis j’ajoute : « Que penserai-je, dans un an, à pareil jour, à pareille heure ?… » Cette pensée me chatouille. J’en suis le développement toute l’année, et comme presque tous les jours sont des anniversaires de quelque trait noté, toutes les journées amènent une jouissance nouvelle. Je me dis : « M’y voilà donc, à cet avenir dont je n’aurais osé soulever le voile, quand je l’aurais pu ! Il est à présent. Je le vois. Tout à l’heure, il sera passé, comme le fait qui paraissait me l’annoncer ! » Je savoure le pré-