Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/88

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qui songèrent à montrer, sur un autre syllabaire, qu’il fallait tuum. Tous ceux qui savaient le Pater par cœur se moquèrent d’eux : — « Si le petit Monsieur Nicolas, au lieu de lire, s’était servi de sa mémoire, il aurait récité, sanctificetur nomen tuum ! » Le maître, en rentrant, ne fit rien de ce

    pas que je ne fisse quelque grosse incongruité. Nous jouâmes. Madelon s’en mêla : sur quelque dispute avec ses frères Edmond et François, elle me jeta par terre, et prenait plaisir à m’y retenir. Je gigotais, en me débattant ; Ursule et Cadette vinrent à moi… Je proteste ici, que ce fut sans aucune malice de ma part… En me débattant, ma main se trouva sous la jupe d’Ursule, et je sentis ce que j’ai jamais touché de plus doux et de plus soyeux. L’impression qui m’en est restée fut aussi délicieuse que dangereuse et profonde… Ursule fit un cri et se retira auprès de sa mère, à laquelle elle parla bas. Aussitôt les jeux cessèrent : Mme  Rameau me renvoya d’un air sec, et au lieu de parler à mes parents, ce fut à M. le curé qu’elle porta ses plaintes. Le pasteur vint à la maison paternelle, et me corrigea de sa main sans en dire le sujet à ma mère, qui ne l’a su que par moi en 1746, pendant ma petite vérole. Je fus éliminé de chez Mre Antoine ; les Rameau eurent seuls les rognures de pain à chanter ; ils m’exclurent du sanctuaire, et je n’ai jamais servi la messe à Sacy, Telle fut la première origine de ma sauvagerie, dont un grand orgueil était la base. Dès que je crus que je n’étais plus aimé de tout le monde, que je n’étais plus admiré en tout, je devins honteux, et de honteux, je devins absolument sauvage… Un raffinement de malice de Mme  Rameau, c’est que s’apercevant que je la fuyais, elle affecta de me rechercher. Un jour qu’elle était assise devant la porte du presbytère avec M. le Curé, je me détournai par le cimetière pour ne pas approcher de cette femme. Elle me vit et m’appela son poulet. Je m’enfuis, au lieu d’aller à elle ; et j’entendis que la bonne dame faisait remarquer au pasteur mon impolitesse. Plus grand, elle m’a toujours accueilli et je ne doute pas que je n’eusse obtenu sa Madelon, si j’avais fait ma cour à la mère. Mais j’avais alors d’autres vues.