Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/105

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celui de son mari : c’est la Bonne-mére, et ce titre suffit pour lui attirer une tendre vénération… La bonne-mére fut touchée des marques d’amitié que je donnais à son fils ; elle l’engageait à y répondre : mais Etienne, quoique moins borné que M’lo, n’avait pas mon énergie ; il n’éprouvait pas le charme que sa présence donnait aux amusements qu’il partageait avec moi. S’il l’avait senti, je crois que nous aurions pu faire de ces choses étonnantes, telles que les merveilles d’amitié qu’on cite des jeunes Grecs.

Une année s’était écoulée depuis que mes parents 1743demeuraient à la Bretonne : j’avais environ neuf ans, et mes dispositions naturelles, senties dés la première enfance, devenaient plus marquées avec l’âge : si je différais de les exposer, on pourrait prendre le change, au moins pour quelque temps. Une passion, la plus noble de toutes, couvait dans mon sein, et jetait, par intervalle, des étincelles, avant que les facultés y pussent répondre. Elle était l’effet de la conformation physique, et par conséquent insurmontable : aussi se changeait-elle alors en un sentiment actif et douloureux, tel que celui qu’éprouvent habituellement les eunuques. Ce fut encore cette passion impuissante qui me rendit sauvage. J’étais beau : mes cheveux, alors châtain-doré, se bouclaient, et me donnaient l’air de ces anges, enfants de la riante imagination des peintres d’Italie. Ma figure délicate était ennoblie par un nez aquilin, par la beauté de mes yeux, par la fraîcheur de mes