Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/200

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croyant poursuivi par des chiens, ou que j’avais plein mon sein de serpents ; je secouais ma chemise, pour les faire tomber. Mon père, tout fort qu’il était, suffisait à peine pour me contenir. On me crut perdu. Je me souviens parfaitement de ce délire, suivi d’un malaise si violent, que depuis, j’ai plus redouté la petite-vérole que toutes les autres maladies… Enfin, les souffrances diminuèrent, et je dormis ; mais l’éruption avait été si abondante, qu’on ne parvint à décoller mes paupières, en les humectant, qu’au bout de dix-sept jours. C’est ce qui m’a donné une idée de la cécité, ainsi que du ravissement qu’éprouve un aveugle, en recouvrant la vue. Ma mère me soigna infatigablement : elle fut témoin de mes transports, au premier rayon de lumière que j’entrevis, après qu’elle m’eut longtemps bassiné les paupières avec du jus de lentilles. Messire Antoine Foudriat vint me voir ; mais il ne me confessa pas, comme elle l’en priait : ce fut elle qu’il en chargea, « afin, » dit-il, « qu’ayant lu dans son cœur, vous sachiez ce qu’il faudra faire pour le préserver. »

Guéri de ma petite vérole, je fus aussi laid de visage que j’avais été beau. Mes traits étaient grossis et absolument changés ; mes cheveux, châtain doré et bouclés, étaient tombés ; ils revinrent noirs et droits. La première fois que je me vis dans un miroir, ce fut avec une sorte d’horreur. De ce moment, je devins plus honteux, plus sauvage ; je n’avais plus rien qui me rassurât. J’avais vivement désiré de ressembler au Comtois de Geneviève, mais