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VOYAGE

moment où parut à mes yeux le miroir d’un lac superbe, couvert de canards et de cygnes, de hérons et de pélicans, tourbillonnant, criant, s’ébattant sans s’occuper de moi.

« Je me laissai aller pendant quelques instants à l’admiration de ce spectacle magique ; mais bientôt je me souvins de la triste situation de Gérald, et je songeai à puiser de l’eau et à revenir près de lui.

« Au moment où j’approchais du bord du lac, quel ne fut pas mon étonnement en découvrant, sur ma gauche, des animaux qui n’étaient pas des kangarous, et qui broutaient paisiblement dans une prairie ! C’étaient des chevaux, et, je l’affirme, je reconnus aussitôt le cheval favori de notre ami Edouard Deverell qui s’avançait vers moi.

— Charly-Grey ! mais c’est un rêve, mon pauvre frère, dit Marguerite d’une voix fiévreuse.

— C’était bien le pauvre animal, répliqua Hugues. Te souviens-tu que nous lui donnions du fourrage pendant notre traversée sur l’Amoor ? Oui ! Eh bien ! j’arrachai une poignée d’épis d’avoine et je me mis à l’appeler : Charly ! Charly Pauvre bête, elle eût voulu courir à moi, mais elle se traînait en fléchissant à chaque pas.

— Charly boitait, dites-vous ? mais alors il avait été volé par les « coureurs des bois, » fit le convict.

– Hélas ! oui ! mon cher Wilkins, continua Hugues. Il était là, en compagnie de cinq ou six autres quadrupèdes de son espèce, noirs comme de l’encre, mêlés à un troupeau de bœufs et de vaches. Tout ce bétail, tous ces chevaux, avaient été indubitablement dérobés à notre ami Deverell. J’avais, pour ainsi dire, oublié Gérald et l’eau dont il avait besoin. Je songeais à monter sur le dos de Charly, qui avait un licou pendant sur ses épaules. Je me disposais à aller chercher O’Brien et à fuir ainsi en me servant de l’animal si miraculeusement retrouvé ; mais il fallait apporter de l’eau à mon pauvre blessé, et je n’avais pour cela aucun récipient. En marchant encore, j’arrivai à un endroit où l’on avait allumé du feu, et je trouvai un amas de coquilles de moules. J’en remplis immédiatement deux des plus grandes et je les plaçai dans mon chapeau. Au moyen de mon couteau, je coupai les entraves qui empêchaient Charly de marcher. À ce même instant, des cris perçants arrivèrent jusqu’à moi, et sur les hauteurs j’aperçus un certain nombre de personnages couverts de vêtements jaunes, — ceux des convicts échappés de Botany-Bay, — qui me mettaient en joue. Il n’y avait donc pas de temps à perdre pour délier Charly ; mais je n’eus pas la présence d’esprit suffisante pour arriver à bonne fin : une volée de balles vint s’abattre autour de moi. Aucune ne m’avait atteint : je courus à perdre haleine et ne m’arrêtai que quand j’eus rejoint Gérald. Le pauvre ami était très affaibli ; la fièvre le dévorait, et la soif le tourmentait à outrance. Hélas ! l’eau s’était renversée en courant ; il en restait à peine un verre. Je lui racontai mon histoire, et lorsque nous entendîmes un coup de feu, nous nous imaginâmes que cela venait de nos ennemis, ne pouvant pas prévoir que c’était Arthur qui me faisait ce signal. Je tirai comme je pus Gérald au fond de la grotte, puis je traînai le kangarou, de façon que ceux que je pensais être à ma poursuite ne