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AU PAYS DES KANGAROUS

découvrissent rien, et cependant j’avais peu d’espérance de voir mes persécuteurs oublier de visiter cette cachette. Mon pauvre Gérald gémit et se plaignit toute la nuit. Combien je regrettai de n’avoir pas pu lui apporter de l’eau ! et quand vint le matin, je n’osai pas trop m’aventurer au dehors, de peur de surprise. Toutefois je me hasardai à quelques mètres, cherchant inutilement quelques fruits, tout au moins quelques baies pour humecter nos lèvres desséchées. Gérald, tout en souffrant affreusement, était plus vaillant que moi. Je suis même certain que, s’il eût été valide en mon lieu et place, il eût bravé tout danger pour me procurer quelque soulagement.

— Allons ! mon cher ami, interrompit O’Brien, tout cela est exagéré, je suis sûr, moi, que si tu étais sans courage, c’est que mes lamentations t’avaient causé trop d’émotion. Ne grognais-je pas comme un sanglier domestique jeté hors de sa bauge pendant une nuit pluvieuse ? C’est pour me tenir compagnie que tu te plaignais aussi. Tu peux comprendre, chère Marguerite, quelle jolie vie nous avons menée pendant toute cette journée-là ! Quand la nuit vint, nous éprouvâmes un peu de froid, et Hugues se glissa au dehors pour ramasser quelques fagots afin d’allumer du feu. Avant qu’il fût de retour, j’entendis la détonation d’une arme à feu répercutée par tous les échos des alentours. Hugues revint aussitôt ; j’essayai de lui parler, mais ce fut en vain : je m’évanouis et ne revins à moi qu’au moment où mes lèvres furent humectées avec le jus d’une figue. Voilà un fruit que j’aimerai toute ma vie. Si jamais je m’établis, je planterai une allée de figuiers dans mon jardin.

— Cela peut se faire, dit Arthur ; mais qu’advint-il après le coup de fusil ?

— Je jetai du bois sur le feu, répondit Hugues, de façon que la fumée fût vue de loin, puis je me glissai au fond du trou. Je craignais que cette détonation d’arme à feu n’eût été produite par une carabine des « coureurs des bois » et je me disais que peut-être j’avais indiqué notre retraite à ces mécréants. Pensez quelle fut ma joie quand la voix que je n’espérais plus entendre vint frapper mes oreilles. »

Jenny Wilson avait versé d’abondantes larmes en écoutant ce récit intéressant, et elle crut ne pas pouvoir mieux montrer son affection pour les pauvres chasseurs qu’en leur offrant des tasses de café sucré au miel et des galettes fabriquées avec la même substance saccharine. Il fallut l’intervention de Max Mayburn pour empêcher ces pauvres affamés de dévorer tout ce qu’on leur donnait.

« J’ai réfléchi toute la nuit au récit des aventures de mes deux enfants, dit le vieillard le lendemain matin, et je tremble en nous sachant dans le voisinage de ces affreux coquins qui voudront arrêter notre voyage. Nous sommes bien en sûreté dans cet endroit, mais ce lieu enchanteur deviendrait une véritable prison si nous ne pouvions pas en sortir. Qu’en dis-tu, mon cher Arthur ? Et vous, Wilkins, quelle est votre opinion ? Nous croyez-vous en sûreté ici ?

— Je ne pense pas que nos ennemis nous attaquent, à moins qu’ils ne nous rencontrent. Mon avis est que ces fieffés coquins vont s’éloigner vers les colonies du sud, afin de se débarrasser du produit de leurs vols et