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VOYAGE

des projets de fuite, et qu’on la pria de se tenir prête. On comptait sur Davy pour servir de guide.

Plusieurs jours s’écoulèrent encore au milieu des angoisses. Les prisonniers étaient plus sévèrement gardés que jamais. Si l’un d’eux s’aventurait au dehors pour respirer autre chose que l’air fétide de la hutte, il était aussitôt rudement repoussé, soit par les noirs, soit par les « coureurs des bois ». Jenny et Ruth, s’étant éloignées de quelques pas afin de couper l’herbe qu’elles désiraient employer en guise de litière dans l’endroit où elles reposaient, furent saisies par les femmes ; elles eurent leurs vêtements déchirés, les cheveux arrachés, et, qui pis est, furent dépouillées de tout ce que contenaient leurs poches.

« Me voilà plus pauvre que Job, disait la vieille Jenny Wilson. À quoi servira mon nécessaire à coudre à ces drôlesses qui ne portent ni vêtements ni chapeaux ? Il ne me reste plus maintenant ni fil, ni aiguilles, ni ciseaux. Oh ! miss Marguerite elles m’ont voté le dé d’argent que vous m’aviez acheté à Londres, mon petit livre de prières et mes lunettes, un présent de M. Mayburn. Enfin qu’importent mes lunettes, puisque je n’ai plus de livre à lire ni de couture à faire ? »

Ruth versait d’abondantes larmes.

« Ma pauvre bourse ! disait-elle. Bon Dieu ! il y avait deux schellings et une pièce de six pence, mon porte-bonheur ! Elles m’ont volé mes rubans du dimanche, mes gants de coton et mon livre de messe. »

Max Mayburn consola les deux femmes en leur montrant son paroissien de poche qu’il avait conservé, et dans lequel il puisait chaque jour la force et l’espérance. Marguerite assura à Jenny Wilson que quand ils seraient tous arrivés à la « ferme des Marguerites », Mme Deverell lui offrirait un assortiment de fil, d’aiguilles, de ciseaux, et remplacerait les lunettes indispensables.

Certain soir, Gérald fut tenté de quitter la hutte pour prêter l’oreille à des bruits insolites qui avaient lieu au dehors. Arthur, qui s’était aperçu de son absence, craignait déjà qu’il ne lui fût arrivé malheur, lorsque le jeune écervelé revint en criant :

« Jack est de retour ! il est là-bas ! Mais j’ai vu en même temps trois ou quatre nouveaux coquins, et dans le nombre Black Peter ».

C’était là une très mauvaise nouvelle, et Max Mayburn adressa à son fils un regard des plus tristes.

« Il faut que Marguerite se sauve, dit-il enfin ; elle ne peut pas demeurer davantage au milieu de ces bandits. Et ce pauvre diable de Wilkins ! le réprouvé Black Peter l’a pris en haine, il n’est donc pas en sûreté au milieu de nous ; il partira également. N’est-ce pas ton avis, non enfant ?

— Je saurai quel parti nous devons prendre lorsque Jack m’aura appris la cause de son retour. Il faut que je le voie. »

On entendait dans le lointain des rumeurs qui prouvaient que tout n’allait pas bien dans le village australien. Les prisonniers en conclurent que l’on avait reçu de l’eau-de-vie, et que les noirs et leurs femmes ressentaient déjà les funestes effets de la boisson corrosive. L’ivresse était devenue furieuses d’horribles blasphèmes proférés par les convicts, et répétés par