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VOYAGE

parée dans l’intention de le décevoir. Il montra enfin à ses hommes les bambous brisés de l’autre côté du courant d’eau et se mit à proférer d’horribles blasphèmes.

« C’est en cet endroit qu’ils ont passé, fit-il, et il n’y a pas longtemps de cela, je vous l’affirme ; nous les tenons, mais ne perdons pas un moment. Toi, Jem, ne donne pas une goutte d’eau-de-vie à ces maudits noirs, car les canailles d’honnêtes gens ont volé nos fusils, et il ne nous reste plus que des armes inégales encore faut-il que les noirs puissent s’en servir. Dieu me torde ! si je rattrape jamais mon « minton » je les tuerai tous les uns après les autres, y compris le vieux récitateur de patenôtres. Je ne fais exception que pour la jeune fille ; elle deviendra ma compagne au milieu des bois ; car elle m’appartient de droit, maintenant que j’ai mis fin aux exigences de maître Bill.

— N’importe ! dit celui qu’on appelait Jem, ces moricauds n’ont pas précisément trouvé de leur goût la façon dont tu as planté le couteau dans l’estomac de leur chef. Là-bas, du côté de Melbourne, cette façon d’agir s’appelle un assassinat.

— Bah ! j’ai épargné une corde de chanvre aux hommes du gouvernement : Bill devait s’attendre à être pendu, répliqua Black Peter. Le gredin était encore plus coupable que moi, ce qui n’est pas peu dire. »

Tout en parlant ainsi, les interlocuteurs juraient et sacraient à faire peur aux honnêtes garçons qui les écoutaient. Ceux-ci éprouvèrent un vrai soulagement lorsque ces misérables, ayant avalé un dernier verre d’eau-de-vie, se levèrent pour continuer leur chemin.

« Allons en route, fit Peter. Ne perdons pas de temps, les amis des lois et du gouvernement seront bientôt forcés de s’arrêter, car les chevaux qu’ils nous ont volés doivent être harassés de fatigue. Ils sont perdus ! Lorsque nous aurons repris nos armes et nos montures, dès que nous aurons mis une balle dans la tête de ces maudits voleurs, nous irons chercher à trafiquer avec les nouveaux colons. »

Après quelques minutes de réflexion, Black Peter s’adressa aux sauvages dans leur idiome et leur dit des choses qui parurent les réjouir car ils dansèrent et frappèrent leurs armes les unes contre les autres, comme pour manifester leur joie. Puis tous ces bandits se remirent en route.

Les sentinelles virent enfin ces gens-là traverser la rivière, et continuer à avancer, tombant ainsi dans le piège qui leur était tendu. Toutefois ni Arthur ni ses deux compagnons ne se décidèrent à descendre avant qu’une demi-heure se fût écoulée, c’est-à-dire lorsqu’ils eurent perdu de vue les « coureurs des bois ».

« Quelles canailles s’écria Gérald. Rien ne m’eût empêché de faire feu sur ce misérable, si j’avais eu un fusil. Oui, certainement, j’aurais vengé l’assassinat de Bill. J’étais dans mon droit.

— Je ne crois pas, mon ami, riposta Hugues. La justice de notre pays ne pense pas de la même façon. C’est le jury qui doit condamner un criminel n’est-il pas vrai, Arthur ?

— Il serait assez difficile de rassembler ici un jury, répliqua celui-ci : aussi je me serais volontiers chargé de débarrasser la société de ce bandit ;