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VOYAGE

ou à ses frères et amis pour lancer à la mer le radeau que ceux-ci venaient de construire à la hâte.

Jack trouva alors l’occasion de prouver à ses protecteurs toute son intelligence. Il pria ses frères et sœurs en infortune de lui donner un coup de main énergique, et, peu de temps après, la dernière planche de salut de la famille Mayburn et de ses serviteurs descendit le long des flancs du navire et toucha l’eau.

Il était temps de s’embarquer, car les tonneaux de graisse avaient pris feu, et l’intensité des flammes redoublait, au point qu’il était facile de comprendre qu’elle aurait bientôt atteint la dunette.

Chacun suivit les instructions de Jack ; on amarra les paquets façonnés par Jenny Wilson ; on n’oublia pas un baril de biscuits et un tonneau d’eau ; Wilkins avait même songé à emporter un tonnelet de rhum ; mais Arthur le jeta à la mer, considérant la liqueur comme un danger ou plutôt une tentation qu’il fallait éviter.

Le marin grommela bien quelque peu quand il vit disparaître le récipient contenant sa liqueur favorite, mais il se soumit et continua à travailler. On avala ensuite des rames, une caisse d’outils, des cordes, deux voiles et une couverture goudronnée pour empêcher l’eau de la mer de mouiller les malles et, quand tout cela fut fait, on fit descendre d’abord les femmes, puis Max Mayburn. Les jeunes gens suivirent aussitôt, et Wilkins s’en alla le dernier. Tout le monde était en sûreté.

On se hâta de couper l’amarre et de s’éloigner du Golden-Fairy ; les flammes avaient entouré son grand mât, lequel allait infailliblement tomber dans quelques instants.

Ce fut seulement quand le radeau parvint à une longue distance du navire en feu que les rameurs cessèrent de nager, afin de contempler l’horrible spectacle qu’ils avaient devant eux.

Wilkins confessa alors à la famille Mayburn qu’il y avait à bord du Golden-Fairy quelques barils de poudre que les matelots engagés par Markham avaient cachés dans le gaillard d’avant, dans un but particulier : leur intention réelle était de massacrer le capitaine et les passagers, ou bien de les débarquer sur la première côte venue, afin de se livrer à la piraterie dans l’océan Indien.

Wilkins s’étonnait donc que la poudre n’eût pas encore fait sauter le navire. Cet événement prévu ne tarda pas à arriver. À peine le marin avait-il achevé sa confession, qu’une commotion épouvantable ébranla l’embarcation soulevée par les vagues et assourdit les pauvres naufragés. Cette explosion fut suivie de deux autres ; une lueur éblouissante, pareille à celle du bouquet d’un feu d’artifice, parut ensuite, et tout retomba aussitôt dans l’obscurité et dans le silence ! e plus profond.

« Que le très haut et très puissant maître du monde, dit alors à haute voix Max Mayburn, qui nous a sauvés d’un danger si épouvantable, nous conduise maintenant sur cette mer inconnue et nous guide sur la terre d’un pays civilisé !

— Amen ! » répondirent tous les naufragés, y compris Wilkins, qui unirent leurs prières à celle du vieillard.