Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/200

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jeter un coup d’œil. « Tu peux en lire quelques-unes, dit Ghennji ; mais il en est d’autres que je ne puis te montrer. Ce sont justement celles-ci que je voudrais voir ! Les lettres banales ne m’intéressent pas. Celles qui valent la peine d’être lues, ce sont celles qui, par exemple, expriment une ardente jalousie ou les langueurs passionnées de l’heure du crépuscule. » Cédant à ses instances, Ghennji lui permit de les parcourir. Sans doute n’étaient-ce pas, au demeurant, des lettres particulièrement secrètes, puisqu’il les avait laissées dans un meuble ordinaire ; les autres, on les cache avec grand soin, et celles-ci n’étaient donc apparemment que d’une importance relative. « Quelle variété ! » dit le Tô no Tchoujo ; et il voulut deviner par qui elles avaient été écrites[1]. « Celle-ci est sans doute d’une telle ? Celle-là, de telle autre ?… » Parfois il tombait juste ; d’autres fois, il essayait des conjectures. Ghennji souriait, mais parlait peu, s’en tenant à des réponses évasives. « Mais toi, dit Ghennji, tu dois aussi en avoir une collection. Ne veux-tu pas m’en laisser voir quelques-unes ? Ma petite armoire pourrait alors s’ouvrir plus volontiers. Je crois, répondiț le Tò no Tchoujô, que les miennes n’offriraient guère d’intérêt pour toi. J’ai enfin découvert combien il est difficile de trouver en ce monde une femme dont on puisse dire : « Celle-ci est la honne : voilà la perfection ! » Il en est beaucoup, d’une sensibilité médiocre, qui sont promptes à écrire et, à l’occasion, habiles à la riposte[2] ; mais combien peu seraient admissibles en ce qui touche la sincérité ! On regrette de les voir, profitant de leurs talents supérieurs, provoquer sans cesse les autres personnes[3]. Il en est d’autres dont les parents sont trop fiers

    mariés, avaient des aventures dont ils se faisaient volontiers la’confidence.

  1. Les lettres d’amour étaient toujours anonymes ou signées d’um nom de fantaisie.
  2. Allusion aux échanges de poésies qui, à ce moment, tenaient tant de place dans la vie mondaine.
  3. Cette petite phrase de Mouraçaki Shikibou me paraît bien être une pierre lancée, en passant, dans le jardin de Sei Shonagon (voir, par exemple, ci-dessous, p. 202, et comp. p. 197, n. 1). Mais notre auteur, si modeste en toutes choses, avait quelque droit de se montrer sévère pour les orgueilleuses. Dans son Journal », elle ne mentionne même pas l’amour qu’eut pour elle le tout-puissant Mit-