Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/210

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bientôt remarquer par nn esprit trop vif pour n’être pas quelquefois mordant ; on raconte que les courtisans, qui redoutaient ses plaisanteries, pâlissaient à sa seule approche. Ces qualités d’enfant terrible ne la firent que mieux aimer de la douce impératrice qui l’avait prise sous sa protection. Mais, peu d’années après, l’ambitieux Mitchinaga[1], voulant imposer sa fille, Jôtô Mon-inn, à l’empereur, parvint à faire écarter Sadako. Sei Shônagon, dont le cœur valait peut-être l’esprit, resta fidèle à l’abandonnée et consola ses derniers moments. À sa mort, en l’an 1000, elle se fit religieuse, ne vivant plus que d’aumônes, errant tantôt dans l’île de Shikokou, tantôt aux alentours de la capitale, où elle s’éteignit enfin et où se trouve son tombeau.

Les Japonais, avec leur délicat symbolisme, comparent volontiers Mouraçaki Shikibou à une fleur de prunier, chaste, culée, Sei Shônagon à une fleur de cerisier, plus jolie, moins belle et d’une teinte rosée moins pure. Si nous traduisons ces poétiques images par des faits, nous constatons, à la vérité, que Mouraçaki Shikibou eut une conduite irréprochable, tandis que Sei Shônagon, d’allures plus libres, paraît bien avoir connu l’amour sans s’être jamais mariée. Nous observons aussi, chez Mouraçaki, une élévation d’idées et de sentiments, une douceur de caractère, une indulgence surtout qu’ignorèrent toujours les victimes de Sei Shônagon, moqueuse, provocante, inexorable à toute sottise qui passait, vaniteuse à l’excès de cette merveilleuse présence d’esprit qui étonnait son entourage, mais dont elle tirait trop souvent des traits blessants pour les plus estimables dignitaires de la cour. Il est toujours bon de faire de l’esprit, excepté sur le dos des autres ; or Sei Shônagon trouvait un certain plaisir à ennuyer son prochain. Rien d’étonnant si ceux qui jalousaient son talent profitèrent de ces imprudences pour ne pas le lui pardonner, et pour répandre sur elle des bruits injurieux qu’il ne faut accueillir qu’avec une extrême prudence. Je ne crois pas, pour ma part, que Sei Shônagon ait été la femme lourde au physique et méprisable au moral que nous dépeignent certains de ses biographes[2]. Si elle n’avait pas été distinguée de sa personne, elle n’aurait pas raillé comme elle fait lestypes vulgaires qui excitaient son dégoût ; et si elle n’avait pas eu quelques dons du cœur, elle n’aurait pas gagné la profonde affection que lui voua son impératrice. Je ne crois pas non plus qu’elle ait jamais été l’espèce d’ivrognesse qu’on nous décrit : en ce cas, elle n’aurait pas représenté les buveurs commodes êtres détestables[3].

  1. Voir p. 225.
  2. C’est notamment le portrait peu flatteur que semble adopter M. Florenz (p. 221-222).
  3. Voir plus bas, Makoura no Sâshi, chap. XVII, § 5.