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Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/212

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elle consignait ses impressions, aux heures de loisir, dans le secret de sa chambre, peut-être bien le soir, près de cet oreiller même, bref, une sorte de carnet de chevet. L’ouvrage est donc un recueil d’observations, d’anecdotes, de réflexions inscrites l’une après l’autre, au hasard des rencontres quotidiennes et sans aucun plan concerté. Si, à ce caractère général des zouïhitseu, on ajoute cette circonstance particulière que le manuscrit de Sei Shônag’on, en raison surtout de ses critiques contre maints personnages vivants, était destiné d’abord à rester secret ou à ne circuler qu’en cachette, on comprendra que le Makoura no Sôshi représente fatalement un pêle-mêle d’une oenfusion merveilleuse, et que le lecteur fatigué des procédés habituels de l’art littéraire soit heureux d’entrer dans cette forêt vierge pour en explorer le délicieux fouillis.

Pour mettre en relief le caractère de l’ouvrage, il me suffira de rapprocher, après les personnes mêmes de Mouraçaki Shikibou et de Sei Shônagon, les deux chefs-d’œuvre qu’elles produisirent Le Ghennji Monogatari était l’expression d’une intelligence noble et passionnée, d’une imagination tout à la fois réaliste et romanesque, d’un esprit viril par sa force en même temps que porté d’instinct aux plus touchantes analyses des faiblesses, des souffrances et des attendrissements du cœur Immain. C’était, en second lieu, un roman d’une composition savante et raffinée, le travail d’un auteur qui sait choisir et ordonner avec art les diverses scènes d’un long récit. C’était enfin l’œuvre d’un pinceau savant, habile à manier les phrases et à combiner les mots en vue d’une perpétuelle élégance littéraire. Le Makoura no Sôshi, étranger à toute idée de gravité et de pompe, est l’invention légère d’une âme gaie et sémillante qui s’amuse de toutes les choses curieuses qu’elle perçoit, qui tantôt exprime de fines impressions devant les aspects changeants de la nature, tantôt contemple avec un sens esthétique non moins profond les belles cérémonies de la cour, tantôt se souvient avec bonheur de quelque histoire ou un chambellan, un prédicateur, un amant, un fanfaron, un fâcheux a joué un rôle ridicule, tantôt se rappelle un trait railleur qu’elle a décoché avec art dans une circonstance chère à son amour-propre, et raconte tout cela, sentiments, anecdotes, réflexions sur les mœurs, remarques de toute espèce, avec un parfait abandon. De composition, point : du moins pour qui considère le plan désordonné des chapitres, ou même l’incohérence fréquente de leur contenu ; mais çà et là, au milieu d’une longue série de menus propos isolés les uns des autres, ou même de simples énumérations (j’en ai compté jusqu’à quatre-vingts) où se trouvent cataloguées et classées les impressions les plus fugitives[1], un

  1. On peut supposer, étant données les vastes connaissances de