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LIVRE PREMIER

i. — l’aurore du printemps[1]

Ce qui me charme, au printemps, c’est l’aurore. Sur les monts, tandis que tout s’éclaire peu à peu, de fins nuages violacés flottent en bandes allongées. — En été, c’est la nuit. Naturellement, le clair de lune ! Mais aussi la nuit obscure, où les lucioles s’entre-croisent çà et là. Et même quand la pluie tombe, cette nuit me semble belle. — En automne, c’est le soir. Le soleil couchant, r lançant ses brillants rayons, s’approche de la crête des montagnes. Les corbeaux, qui se hâtent vers leurs nids, volent par trois, par quatre, par deux : c’est d’une tristesse ravissante. Et surtout, quand les longues files d’oies sauvages apparaissent toutes petites, quoi de plus joli ? Puis, quand le soleil a disparu, le bruit du vent, le chant des insectes, tout cela encore est d’une mélancolie délicieuse. — En hiver, de bonne heure, il vu de soi que la chute de neige est charmante. Et l’extrême candeur de la gelée blanche ! Mais, plus simplement, un très grand froid : vivement, on allume le feu, et on

    de là à prétendre (p. 229) que ce serait peine perdue de traduire ou même d’analyser un ouvrage qui veut qu’on écoute parler l’auteur lui-même, il y a une certaine distance. Assurément, il n’est pas plus commode de rendre en français le style de Sei Shônagon qu’il ne serait de faire passer en japonais les phrases savantes de La Bruyère. Je crois cependant qu’on peut y arriver en suivant de très près la pensée de Sei, en sacrifiant au besoin, comme j’ai fait, l’éégance de la traduction aune fidélité scrupuleuse, et en éclaircissant le texte, non par des paraphrases qui le gâteraient, mais tout simplement par des notes.

  1. Les commentateurs japonais intitulent ainsi ce chapitre, d’après les premiers mots par lesquels s’ouvre l’ouvrage. Divers autres titres, également ajoutes après rnup, ne répondent souvent qu’en partie au contenu du chapitre qu’ils ont pour objet de distinguer. Un commentaire bien connu est celui de Kitamoura Kighinn : le Makourano Sôshi Harou no akébono-shà, « Choix (de commentaire*) de l’aurore du printemps ». Ce titre ingénieux veut sans doute évoquer, d’une part le début fameux de l’ouvrage lui-même, d’autre part l’idée que, tout comme l’aurore du printemps décrite par Sei Shônagon, le commentaire va illuminer peu à peu le texte. La réimpression que je possède, publiée en 1893, était arrivée à sa 8« édition en 1899, ce qui montre bien l’éternelle jeunesse de ce vieux livre classique.