Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/245

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j’eus treize ans, j’entrai au grand palais[1]. En vérité, reprit l’autre vieillard, je suis content de vous rencontrer. C’est une grâce du Bouddha. Depuis plusieurs années, je n’étais pas allé au prêche des divers temples ; par hasard, aujourd’hui, je suis venu y assister : j’en suis bien heureux. Et celle qui est à vos côtés, c’est sans doute une personne de ce temps-là ? — Non, répondit Shighéki : ma première femme étant morte très jeune, celle-ci est la seconde. Mais, et votre femme ? — Ma femme, dit Yotsoughi, est celle d’autrefois[2]. Nous comptions venir ensemble ; mais comme c’est le jour des frissons de sa fièvre intermittente, elle a eu le regret de ne pouvoir m’accompagner. » Et en se disant ces choses mélancoliques, ils versaient quelques larmes.

Ainsi, tandis qu’on attendait le prédicateur, comme tous s’ennuyaient, moi et les autres, nous écoutions parler ces vieillards. L’un d’eux dit : « Nous sommes tristes ; causons donc des choses anciennes pour les personnes qui sont ici, et faisons-leur connaître ce qu’était la vie d’autrefois. Oui, reprit l’autre, ce sera intéressant. Cherchez dans votre mémoire : de temps en temps Shighéki vous donnera quelques indications[3]. » Ils semblaient vouloir commencer le récit, et tous les écoutaient avec attention. Beaucoup de gens étaient là, qui tendaient l’oreille ; mais, plus que tous les autres, le samouraï s’approcha pour mieux entendre. « La vie, dit Yotsoughi, est pleine de choses captivantes. Les vieillards gardent le souvenir du passé. Autrefois, de sages empereurs faisaient rechercher dans tout le pays les vieilles gens pour leur demander l’état de la vie ancienne ; et c’est en tenant compte de leurs dires qu’ils gouvernaient le peuple. Les vieillards sont donc des êtres vénérables. Ne vous moquez pas, jeunes gens ! » Et il se mit à rire, en cachant son visage derrière son éventail de papier jaune à neuf nervures[4] noires.

  1. Sans doute celui de Tadahira.
  2. Autrement dit : c’est ma première femme.
  3. Yotsoughi ya raconter la gloire des Foujiwara, et Shighéki se charge de lui donner la réplique, en complétant ou corrigeant au besoin ses souvenirs.
  4. Littéralement, à neuf « os », les Japonais désignant ainsi les nervures qui forment, pour ainsi dire, le squelette de l’éventail.