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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

celui-ci n’était pas un avertissement de calamités non moins extraordinaires.

Dans la lune humide[1] de la même année, un transfert de la capitale eut lieu subitement, contre toute attente[2]. Si l’on pense à ses origines, plusieurs centaines d’années s’étaient écoulées depuis que la capitale avait été fixée, sous l’empereur Saga[3]. Comme il n’y avait pas de raisons sérieuses pour ce transfert, tout le monde le jugeait inopportun et le déplorait. Néanmoins, malgré toutes ces plaintes, l’empereur, avec ses ministres, les seigneurs et la cour entière, se transporta à Naniwa, dans Settsou[4]. Parmi les gens qui veulent servir le monde, qui eût osé rester seul dans l’ancienne capitale ? Ceux qui aspiraient à une fonction ou qui s’appuyaient sur la faveur d’un maître déménagèrent à qui mieux mieux, s’efforçant de dépasser, ne fût-ce que d’un jour, leurs semblables. Ceux qui avaient perdu leur fortune ou qui étaient abandonnés du monde demeurèrent, en se lamentant ; car nul avenir devant eux. Les demeures dont les toits rivalisaient naguère étaient désertées de jour en jour ; les maisons, démolies, flottaient sur la rivière Yodo[5] ; les propriétés se métamorphosaient en des champs. Le cœur même des hommes se transformait ; ils ne voulaient aller qu’à che-

  1. Mi-na-zouki, le 6e mois. On traduit d’ordinaire cette appellation par « le mois sans eau » (mi, eau ; na, racine de naki, non-être ; tsouki, lune). Les philologues, voyant le son japonais na exprimé par un caractère chinois qui veut dire « néant », n’ont pas réfléchi que le 6e mois de l’ancien calendrier correspondait justement à un des mois humides de l’année (à peu prés un jour de pluie sur deux, d’après les statistiques de l’Observatoire central de Tôkyô). En réalité, dans cette très vieille expression, na ne peut être qu’une des formes archaïques du génitif.
  2. Par la volonté de Taïra no Kiyomori.
  3. Après de nombreux déplacements (voir p. 70, n. 2), la capitale avait été établie, en 794, à Kyôto par l’empereur Kwammou ; mais son successeur, Héizei, la transporta de nouveau à Nara (en 806) ; c’est seulement à partir de Saga que Kyôto devint (en 810) la capitale définitive.
  4. Voir p. 97, n. 4.
  5. La rivière d’Ohçaka. On avait démonté les maisons de bois pour les transporter, sur des radeaux, à la nouvelle capitale où elles devaient être reconstruites.