constances m’empêchent de violer les commandements. Le matin, si je vais regarder les blanches vagues, j’imite les pensées du novice Mannsei contemplant les bateaux d’Okanoya[1]. Le soir, lorsque le vent agite les feuilles des katsoura[2], je pense aux eaux de Jinyô[3] et j’imite le style de Ghenntotokou[4]. Quand je me sens en train, je joue l’air du « Vent d’automne[5] » de concert avec le bruit des pins, ou l’air de la « Fontaine qui coule[6] » uni au murmure de l’eau qui passe. Je n’ai point de talent, mais je ne m’efforce pas de charmer les oreilles des autres : je joue pour moi-même, je chante pour moi-même, et je console mon cœur.
Au bas de la montagne se trouve une hutte de broussailles où demeure le forestier. Il a un jeune fils, qui vient quelquefois me voir. Quand je m’ennuie, je vais me promener avec lui. Lui a seize ans, et moi, soixante ; mais, malgré cette grande différence d’âges, nous goûtons ensemble les mêmes plaisirs. Tantôt nous recueillons des pousses d’impérate[7] ou des poires de rocher[8], des rhizomes d’igname[9] ou des feuilles de persil sauvage[10] ; tantôt nous allons aux rizières qui s’étendent au bas de la montagne et nous glanons les tiges tombées pour en tresser
- ↑ Sur la rivière d’Ouji. Mannsei, ou Mannshami, nom religieux de Kaço no Açon Maro, poète du VIIIe siècle. Voici les vers auxquels Tchômei fait allusion :
L’état de cette vie
A quoi le comparerai-Je ?
Aux blanches vagues du sillage
Du bateau qui passe à la rame
A l’aube ! - ↑ Voir p. 64, n. 3.
- ↑ Lieu d’exil du poète Hakou Rakoutenn (v. p. 207, n. 5). Il y composa notamment quelques beaux vers en écoutant une joueuse de luth dont la musique lui rappelait sa vie brillante d’autrefois.
- ↑ Nom à la chinoise de Minamoto no Tsounénobou (ci- dessus, p. 128), fondateur de l’école musicale de Katsoura, et qui fut aussi exilé
- ↑ Shoufou, un vieil air de harpe (inventé vers la fin du VIIIe siècle).
- ↑ Ryoucenn, air pour le luth, importé de Chine. (Comp. ci-dessus, p. 193.)
- ↑ Tsoubana, nom de la tchigaya (Imperata arundinacea) en fleur ; les pousses de cette graminée sont comestibles.
- ↑ Iwanashi, Epigea asiatica.
- ↑ Kako, la dioscorée du Japon.
- ↑ Séri, œnanthe stolonifère.