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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

De même pour la nourriture et le vêtement. Un tissu de glycine et une couverture de chanvre[1] suffisent à cacher ma peau ; les impérates de la lande, les fruits de la montagne suffisent à soutenir mon corps. Comme je ne vis pas dans le monde, je n’ai point à me préoccuper de mon extérieur ; et comme je n’ai pas trop de nourriture, ces simples aliments ont leur saveur pour moi. Je ne dis pas cela pour les gens riches : je compare seulement mon passé et mon présent. Depuis que j’ai renoncé au monde et que j’en suis sorti, j’ignore l’envie et la peur. Je remets ma vie au jugement du Ciel, sans m’en soucier davantage. Je considère mon être comme un nuage flottant ; je ne compte pas sur lui, et je ne le dédaigne pas. Toute la joie de ma vie repose sur l’oreiller où je goûte un sommeil léger ; tout l’espoir de ma vie réside dans les beautés des saisons.

C’est du cœur seulement que dépendent les Trois mondes[2]. Si le cœur n’est pas à l’aise, à quoi peuvent bien servir les bœufs et les chevaux et les sept choses rares ? Les palais, les châteaux, les tours ne saturent point nos désirs. A présent, je suis heureux dans ce lieu solitaire, dans cette hutte d’une chambre. Quand par hasard je vais à la capitale, j’ai quelque honte d’être devenu un gueux ; mais quand je suis ici, j’ai pitié de ceux qui s’attachent follement à de misérables poussières[3]. Si on doutait de ce que je dis, qu’on regarde l’état des poissons et des oiseaux. Les poissons ne se fatiguent pas des eaux ; mais pour comprendre leur cœur, il faudrait être poisson soi-même. Les oiseaux aiment leurs forêts ; mais pour comprendre leur cœur, il faudrait être oiseau soi-même. Il en est ainsi du plaisir de la solitude : qui pourrait le comprendre sans y avoir vécu[4] ?

  1. C’est-à-dire des matières textiles regardées comme les plus pauvres.
  2. Sannkaï, à savoir : yokou-kaï, shiki-kaï et moushiki-kaï. Plusieurs interprétations ; d’après la plus probable, ce sont les trois catégories de la convoitise (avarice, ambition), de la volupté et enfin, de la vertu (absence de passions).
  3. Les richesses.
  4. Tchômei aurait pu prendre pour devise cette exclamation ins-